La juriste Anne-Marie Le Pourhiet et le sociologue Jean-Pierre Le Goff sont tous deux farouchement opposés à la « PMA pour toutes. » Ils confrontent leurs arguments, sous l’arbitrage d’Elisabeth Lévy.
Elisabeth Lévy reçoit Anne-Marie Le Pourhiet et Jean-Pierre Le Goff. Causeur vous propose de lire un extrait de leurs échanges tenus sur REACnROLL, la télé des mécontemporains (rnr.tv).
Verbatim
Elisabeth LEVY : Compte tenu des sondages récents, à savoir que 73% des français sont favorables à l’extension de la « PMA à toutes les femmes », et que, récemment, la moitié des Françaises serait favorables à la GPA, à quoi cela sert-il de s’opposer à un projet de loi qui va visiblement passer et qui ne sera qu’une première étape?
Nous n’avons plus une République de citoyens mais une société d’ayants-droit
Anne -Marie LE POURHIET : Je me méfie des sondages, cela ne m’étonne pas car je pense qu’une partie des Français est « lobotomisée ». Les trois-quarts de mes étudiants en droit ne comprennent pas ce que je dis. Quand vous dites aux gens « PMA pour toutes », ils ne voient pas très bien ce dont il s’agit ; comme on leur dit que c’est bien et qu’il y a des dames qui souffrent car elles sont malheureuses de ne pas avoir d’enfants, ils ne raisonnent pas plus que ça… Je ne suis pas certaine que les sondages nous disent exactement ce que pensent les gens, mais je ne suis pas étonnée de l’espèce de résignation.
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Elisabeth LEVY : Les sondages peuvent peut-être se tromper, mais on voit bien qu’il y a une certaine tendance. La loi PMA passera sans grande difficulté. En revanche, pour faire passer la loi sur les retraites, cela risque d’être plus compliqué. Je m’interroge sur ce contraste entre la passion que les Français mettent à leur retraite ou à tout ce qui touche à leurs revenus, et la relative indifférence avec laquelle ils accueillent les questions sur la filiation.
Jean-Pierre LE GOFF : Il y a une espèce de banalisation de la loi. C’est noyé dans une série de réformes qui ne sont pas de la même nature : la question de l’économie et des retraites n’est pas la même chose que ce qui met en jeu la condition humaine. Il y a un individualisme certain. L’argument classique est que cela ne retire pas de droits, mais que cela en ajoute à d’autres. A un moment donné, il faut se positionner en fonction de convictions argumentées. J’estime que sur une question qui est engagée, ne pas se prononcer est une forme de lâcheté. Dans le cas inverse, c’est une forme de suivisme.
Elisabeth LEVY : La quasi-indifférence de la société ne vous frappe-t-elle pas ?
Jean-Pierre LE GOFF : Il y a une mentalité individualiste : « je ne suis pas concerné, on me donne des droits on ne m’en retire pas » c’est l’essentiel. Ce sont des individus autocentrés.
Anne-Marie LE POURHIET : C’est d’ailleurs présenté comme ça par le lobby LGBT et les féministes : on ne vous retire rien. La valeur collective n’est plus prise en considération !
Elisabeth LEVY : Peut-on faire une société collective avec des règles de la filiation qui changent d’un individu à l’autre ? Chacun son truc pour la filiation, pourquoi pas ?
Anne-Marie LE POURHIET : Dans bioéthique, « éthique » vient de moral. Mais, où est la morale puisqu’à chaque nouvelle loi, on ne tient plus un seul principe ? Nous n’avons plus une République de citoyens mais une société d’ayants-droit. Nous avons développé dans le mental des gens le fait qu’ils ne doivent plus rien à personne, mais qu’on leur doit tout.
Elisabeth LEVY : Les sociétés libérales se gardent de définir une morale substantielle commune. Les guerres de religion nous ont appris que c’était compliqué. Jean-Pierre Le Goff, vous dites que le gouvernement n’a aucune légitimité pour intervenir dans ces domaines… Quid de la Loi Veil ?
Jean-Pierre LE GOFF : A mon avis, le discours de Simone Veil se situe dans une logique de détresse. Il privilégie la question de la contraception. Je crois que ce qui est en train de se passer est d’une nature différente ; on est dans le fantasme de la toute-puissance de l’individu. La PMA remet en cause la division sexuelle et les rôles différenciés dans la procréation. Aujourd’hui, il s’agit d’un saut qualitatif en douceur qui passe sur une base de relativisme généralisé. Le rôle des politiques répond à cette demande sociale problématique.
Pour Jean-Pierre Le Goff dans le Figaro, la filiation ne doit pas être « à la discrétion du gouvernement »
Attention à ne pas faire advenir « le meilleur des mondes »
Au-delà des inévitables échanges d’arguments standardisés à venir entre partisans et opposants à la PMA, Jean-Pierre Le Goff reproche non seulement la minimisation de la question dans l’espace public (« Le risque est que cette loi apparaisse comme une réforme parmi d’autres (…) Les lois dites sociétales peuvent se trouver intégrées et diluées dans une rhétorique du changement »), mais aussi à l’Etat d’aller au-delà de ses prérogatives, en mettant en place une réforme qui « met directement en jeu une conception de la condition humaine, de la procréation et de la filiation”. Il ajoute : « On sort du registre thérapeutique pour satisfaire les exigences d’une minorité et bricoler la filiation. »
D’autre part, le philosophe souligne que cette proposition repose essentiellement sur la sacro-sainte vision d’une société toujours plus égalitaire. Et ce quel que soit le domaine, ce qui forcément ne manque pas au passage de questionner sur la suite logique de cette réforme, à savoir la GPA. Ne s’imposera-t-elle pas comme une évidence afin de permettre aux hommes de bénéficier à l’avenir du même traitement que les femmes ? Le philosophe s’interroge : « Comment les homosexuels pourraient-ils faire des enfants sans recourir à la GPA ? Dans cette nouvelle lutte indéfinie pour l’ « égalité », la revendication de la GPA parait cohérente. »
Pour le philosophe, les dommages collatéraux de la PMA sont nombreux: « effacement de la figure du père, brouillage de la filiation (…) risques d’eugénisme et de marchandisation » sans oublier une dérive certaine vers l’individualisme, où chacune serait finalement libre d’avoir un enfant seul, évitant ainsi tout toute forme d’interaction avec la figure masculine, désormais facultative à la conception d’un enfant.
Anne-Marie LE POURHIET : Il existe une distinction entre deux types de droits qui fondent deux conceptions de l’Etat ; « les droits-libertés », d’une part, c’est ce que j’ai le droit de faire, l’Etat respecte ces libertés, et n’intervient pas, et, d’autre part, « les droits-créances », qui consistent à demander l’intervention de l’État pour vous fournir des prestations. Or, ici, il s’agit de demander à l’Etat, à ses services hospitaliers et à des banques de sperme contrôlées par l’Etat, une demande de reconnaissance et d’assistance à transgresser les règles naturelles, biologiques et anatomiques.
Elisabeth LEVY : Les règles naturelles ont déjà été balayées depuis longtemps, notamment depuis le jour où on a fait les premiers enfants éprouvettes à des couples hétérosexuels…
Anne-Marie LE POURHIET : Dans Le Monde, on nous explique que le nouveau-né reconnait dans tous les domaines la voix de sa mère, mais qui est sa mère ? C’est celle qui l’a porté. L’enfant fera automatiquement cette hiérarchie entre les deux mères.
Elisabeth LEVY : Là-dessus, nous sommes d’accord.
(…)
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Anne-Marie LE POURHIET : Parlons plutôt de la philosophie. Nous sommes dans une philosophie issue des Lumières, où nous sommes partis de Hobbes qui nous a dit que les hommes vivaient dans un état de nature; ils ont passé un Contrat social pour sortir de cet état de nature où l’Homme était un loup pour l’Homme. Je constate que ce Contrat social est en train d’être foutu par terre et que l’Homme redevient un loup pour l’Homme. Ce que consacre ce texte est la libre disposition d’autrui par certains : j’ai le droit de vie ou de mort sur autrui. J’ai le droit à l’enfant, j’ai le droit d’exiger qu’on me fournisse le sperme d’un homme que par ailleurs, je ne veux pas, ni dans mon lit, ni chez moi, ni dans l’éducation de mes enfants. On traite les hommes comme des vaches à traire. On s’écarte totalement de la philosophie des droits de l’Homme qui est à la base de notre Constitution et de notre civilisation. C’est de la philosophie politique.
Elisabeth LEVY : Le contenu de la morale commune a changé; l’argument de dire que c’est notre philosophie aujourd’hui n’est pas un bon argument car il n’indique pas le caractère immuable. Par conséquent, où placer le curseur de l’évolution de la société ? En quoi la PMA est-elle contraire à l’intérêt général ?
Anne-Marie LE POURHIET : Je vous donne un exemple. Il y a quelques années, la Cour de cassation a indemnisé un enfant car il était issu d’un viol, en estimant que les « conditions de sa création étaient sources de préjudice pour lui ». Pourquoi un enfant n’aura-t-il pas le droit de demander réparation du fait qu’il soit né par Procréation Médicalement Assistée ?
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