Le billet du vaurien
J’ai toujours été troublé par cette réflexion de Cioran : « Je me reproche de n’avoir pu m’empêcher de naître. » Je me le reproche aussi, tout en étant parfaitement conscient de l’absurdité de cet énoncé. Et cependant, il reflète l’énigme du sujet. C’est même la bonne formule du péché originel : n’avoir pas fait le nécessaire pour ne pas naître.
Je l’ai constaté à plus d’une reprise : quand Dieu vous donne un talent, il vous donne en même temps un fouet. Et ce fouet est uniquement destiné à l’auto-flagellation. Il n’y a pas d’écrivains heureux, à moins qu’ils ne soient médiocres. Ce sont eux que le public plébiscite. Sans doute ont-ils fait tout le nécessaire pour naître. Ils ont la chance de vivre en paix avec leurs mensonges.
Celui qui ne meurt pas une fois par jour ignore la vie. Faut-il s’en réjouir pour lui ?
J’arrive à un âge, me confia cet ami, où quand une femme dit oui, je suis flatté. Et quand elle dit non, je suis soulagé. J’admirais sa franchise, tout en m’efforçant de donner encore le change. Il est plus aisé de renoncer à ses galipettes qu’à sa vanité.
J’avais très vite pris conscience, à ma décharge, de l’écart entre l’immensité de mes désirs et le peu de moyens que j’avais de les satisfaire. Et d’ailleurs le plus souvent je me suis retrouvé dans la situation du coyote qui, dans les dessins animés, continue de courir alors qu’il a passé le bord du précipice. Plus dure sera la chute….
N’est pas Kundera qui veut
Il m’est arrivé à maintes reprises de vouloir mettre mes fantasmes sexuels en pratique, sans y parvenir. Comme je confiais à ma partenaire que ce n’était pas censé se passer comme ça, elle me répondit : « C’est le propre du fantasme : ça n’est pas censé se passer du tout. » J’ai retenu la leçon, mais j’ai récidivé. En pure perte.
Finalement, je dois à mon ami Isaac Pante de m’avoir éclairé sur les impasses du désir en photocopiant à mon intention la nouvelle de Milan Kundera : « Le jeu de l’auto-stop ». L’envie m’a pris de saisir le fouet que Dieu m’avait donné pour m’auto-flageller. J’y ai renoncé, faute de talent. N’est pas Kundera qui veut.
Et pour conclure avec Proust sur une note optimiste (enfin, ne poussons pas le bouchon trop loin …) : « La fée dépérit si nous approchons de la personne réelle. Et si nous restons auprès d’elle, elle meurt définitivement. » Il m’est arrivé plus d’une fois de me demander si par là-même, elle ne comblait pas mon désir.