Pour en revenir à l’affaire du plug anal sur la place Vendôme que des rigolos bien avisés ont perforé l’autre jour (et même si ce n’est pas bien de saccager une installation artistique et gna gna gna), outre que cette intervention seyante rappelle celle, dans un autre domaine, d’un José Bové et de ses amis saccageant un McDo, ce qui frappe le plus ici est la collision que la démocratie d’opinion permet désormais entre des mondes qui naguère s’ignoraient souverainement, voire se méprisaient de loin mais sans s’affronter directement, mais qui aujourd’hui, du fait même qu’il n’y ait plus ni compartimentation ni hiérarchie des opinions, se découvrent face à face et s’affrontent sans pitié. J’entends pas là que dans une démocratie de plus en plus transparente et participative, le point de vue du pékin moyen est aussi important, sinon beaucoup plus du fait qu’il soit majoritaire, que celui de l’artiste subversif.
Mieux : dans une démocratie intégriste, ce à quoi nous tendons, peut-être pas politiquement mais au moins idéologiquement, ce sont tous les domaines qui avaient jusqu’à présent la chance d’y échapper, qui sont touchés par la démocratie – art contemporain compris. Or, lorsque les bonnes gens s’en mêlent, ce sont certains credo culturels qui risquent d’en prendre un sacré coup. Passe encore pour la baudruche de McCarthy dont on a sanctionné moins l’obscénité que l’infantilisme (et moins parce que l’on est contre le porno que parce l’on en ras le bol du « porno culturel » et de ses prétentions « évolutives ») mais s’il venait un jour à l’esprit de ces saccageurs de s’en prendre à des icônes comme Francis Bacon, Picasso ou encore Sade, à l’honneur en ce moment à Orsay, et pas simplement via un coup de force mais via une proposition de référendum (du genre « faut-il brûler Sade ? »), je ne vois pas ce qu’au nom de la démocratie on pourrait faire pour les empêcher. Au fond, ce qui se passe aujourd’hui, et qui rend notre monde si violent et si passionnant, est que tous les milieux se mélangent, toutes les forces s’affrontent, tous les credo se font la guerre – et au nom de ce que précisément nous chérissons le plus, que l’on soit populo ou intello, plébéien ou élitiste, c’est-à-dire la liberté et l’égalité d’avoir et d’exprimer son opinion.
Quand nous étions dans un monde encore vaguement aristocratique, inégalitaire et pacifique, l’underground et le normatif vivaient leur vie chacun de leur côté. Du jour où l’on a permis que l’un pouvait s’inviter dans la vie de l’autre, il y a eu désordre. Et ce désordre a conduit à quelques virulentes réactions du type de celle qu’on a vu la semaine dernière contre le soi-disant sapin de Noël en plastique et dont le message était clair : « arrêtez de nous souiller le paysage avec vos saloperies ! ».
Si l’on n’est pas sûr que la beauté sauvera le monde, au moins a-t-elle gagné cette nuit-là une petite victoire contre la laideur.
*Photo : ANTOINE CAU/SIPA. 00695636_000003.
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