Précision liminaire : n’ayant d’expérience sensible du personnel politique frontiste qu’à un niveau local, dans une région où l’influence électorale du FN est supérieure à la moyenne nationale (la Haute-Savoie), je n’ai aucune prétention à imposer une vision globale et scientifiquement étayée de ce parti comme organisation agissant dans le champ politique national.[access capability= »lire_inedits »]
Néanmoins, l’observation des structures du Front national à cette échelle pendant deux décennies vient corriger les images successives de ce parti élaborées dans les cercles universitaires et médiatiques de la capitale.
Loin des grandes villes, où les ténors de l’extrême droite étaient issus des traditions remontant à l’Action française et au collaborationnisme pour les plus anciens, aux combats anticommunistes et pour l’Algérie française pour la génération suivante, le FN des petites villes et des campagnes vit naître ses électeurs avant ses cadres.
À l’exception de Dreux, première conquête électorale significative, en 1983, d’un parti jusque-là groupusculaire, œuvre des époux Stirbois, bien implantés dans le secteur, aucun réseau militant n’existait en dehors des cénacles d’extrême droite que Jean-Marie Le Pen était parvenu à fédérer autour de sa personne. Après le succès électoral du parti aux élections européennes de 1984 (11% des suffrages et 10 députés) et surtout aux législatives de 1986 (à l’issue desquelles le FN profite de l’instauration du scrutin proportionnel pour rafler 35 sièges avec 10% des voix), on assiste à l’émergence d’un personnel politique frontiste à l’échelle nationale et locale.
Dans un premier temps, on peut distinguer les « historiques », compagnons de route du « chef » Jean-Marie dans les années de maigre moisson électorale, entre 1958 et le début des années 1980. On y retrouve des anciens de l’OAS, comme Roger Holeindre, des technocrates proches du Club de l’Horloge, comme Bruno Mégret et Jean-Yves Le Gallou, des idéologues actifs dans l’Université, comme Bruno Gollnisch et Jean-Claude Martinez. Ceux-là constitueront la garde rapprochée de Le Pen au Parlement européen, avant de se rallier à la dissidence mégrétiste de 1998, à l’exception de Holeindre et de Gollnisch.
L’insondable médiocrité des militants de terrain
Les succès électoraux ont ensuite amené dans les assemblées locales une génération de « militants de terrain » dont certains étaient adoubés par le « chef » pour devenir le petit chef du coin. Ce sont eux dont va hériter Marine si elle l’emporte sur Gollnisch le 16 janvier 2011, ce qui ne semble pas hors de sa portée si l’on en croit les augures bien informés.
Pour ceux que j’ai l’occasion d’observer dans mon rayon d’action, on ne peut que constater l’insondable médiocrité de ces gens, dont la plupart ont débarqué au Front après avoir échoué avec constance à accéder au statut de notable dans la droite dite classique ou républicaine. D’ailleurs, les seuls qui disposaient d’un minimum de charisme personnel ou de savoir-faire politique se sont éloignés, une fois élus avec l’étiquette FN, d’un parti qui les embarrassait plus qu’il ne les aidait. Ce fut le cas, entre autres, d’un Jacques Bompard à Orange ou d’un Jacques Peyrat à Nice, mais ils ne furent pas les seuls.
Ceux qui restent, donc, élus régionaux pour la plupart − toujours le scrutin proportionnel ! − doivent leur statut aux décisions du sommet et aux contributions financières apportées au FN pour figurer en position éligible sur la liste. C’est l’astuce qu’avait trouvé Jean-Marie Le Pen pour renflouer les finances toujours chancelantes d’une organisation dont il tient encore seul les cordons de la bourse.
On peut aisément imaginer que ce processus de sélection des cadres n’amène pas sur le devant de la scène des aigles en politique, ni même des faucons…
Petits-bourgeois vaniteux, hobereaux hautains mais bien dotés, commerçants enrichis victimes du mépris de la haute bourgeoisie trouvent au Front l’occasion de prendre une revanche sur « l’établissement » local qui les a snobés pendant des décennies. De convictions, ils n’ont guère, à la différence des membres de l’extrême droite révolutionnaire et fascisante du siècle dernier. Ils n’aiment pas les « bougnoules », certes, mais ils sont loin d’avoir le monopole de cette détestation… L’antisémitisme n’est pas leur tasse de thé, car c’est trop compliqué et peu payant électoralement. Les cathos intégristes les gonflent aussi, car c’est plus le bistrot que la sacristie qui vote pour eux et qui colle leurs affiches.
Si elle veut vraiment changer le FN, Marine devra, selon la formule de Brecht, dissoudre son peuple et s’en élire un autre…[/access]
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