Sepp Blatter, président de la FIFA élu en 1998 et quatre fois réélu depuis, a été poussé à la démission en juin et, à l’approche de nouvelles élections, tente de saborder celui qui fut l’un de ses plus proches alliés dans sa prise de pouvoir au sein de l’organisation mondiale du football : Michel Platini.
Entre ces deux figures du football mondial, tout commence à Zurich le 12 novembre 1987, lors des tirages au sort des éliminatoires du Mondial 90. Blatter n’est alors que secrétaire général de la FIFA mais préside déjà la table où a lieu le tirage au sort. À deux sièges de lui est assis Platini, 32 ans, jeune retraité du football. À en croire le journaliste Jacques Vendroux, répondant au Monde, les deux deviennent rapidement amis : « Il y a d’abord eu une admiration réciproque, Blatter aimait les grands joueurs, et Michel était impressionné par ce secrétaire général chaleureux et travailleur. »
Progressivement, les deux hommes deviennent une équipe redoutable. Après le passage de Platini à la tête de l’équipe de France, ils se retrouvent pour planifier ensemble la Coupe du Monde 1998. Leurs relations s’approfondissent alors que l’ancien N°10, nommé par Mitterrand co-président du Comité d’Organisation du Mondial, doit se rendre très souvent à Zurich. Jacques Lambert, directeur général du Comité, se contente de noter : « Entre Michel et Sepp, le courant passe bien ».
C’est en 1997 que les deux passent ensemble à la vitesse supérieure. João Havelange, brésilien à la tête de la FIFA depuis 1974, laisse sa place. Alain Leiblang, journaliste proche de Platini lui conseille de briguer la présidence de l’institution. Mais l’ancien meneur de jeu ne se sent pas encore prêt et veut l’avis de Blatter, qui ne s’est pas encore déclaré candidat. À Singapour, en marge de la Football Expo 98 (sorte de foire du football-spectacle), les deux futurs dirigeants se rencontrent seuls dans une chambre d’hôtel. En sortant, l’ancien joueur déclare à Leiblang: « On a décidé. Sepp sera président de la FIFA et moi son conseiller technique ».
Le Suisse garde un souvenir ému de l’aide que lui apporte alors son compère français dans sa prise de la FIFA : « « J’avais eu deux mois pour me préparer, et il n’y avait que deux personnes pour m’aider : ma fille Corinne et Michel Platini ». Après sa victoire, son ami devient comme prévu son N°2, sa « conscience sportive » selon le joli mot de Blatter. Le travail de Platini consiste donc à distribuer l’argent de la FIFA aux différentes fédérations.
S’ensuivent quatre années au cours desquelles, malgré quelques scandales passés sous le tapis, les deux amis quadrillent l’univers des fédérations de football et se mettent les plus petites dans leurs poches. Gérard Ernault, journaliste à L’Equipe, explique : « Blatter a enseigné à Michel les vertus formidables de la mécanique un pays – une voix. Pour les élections, le vote de la Sierra Leone compte autant que celui de l’Allemagne ». C’est à l’école de Blatter que Platini apprend la politique.
En 2007, après dix ans de bons et loyaux services, le N°2 se décide à conquérir la FIFA. Malgré tous ses efforts pour le garder à ses côtés, lui promettant chaque fois sa succession mais persistant à se représenter à chaque élection, Blatter se résigne à laisser partir son poulain. Il lui offre même, au dernier moment, son soutien face à Lennart Johansson, président de l’UEFA, alors candidat à sa propre succession. Lors d’un dîner officiel à la veille de l’élection, Le 25 janvier 2007, à Düsseldorf, Blatter piétine sa neutralité et se déclare en faveur du Français : « Platini for president ». Se mettant à dos Johansson, il légitime son camarade et lui assure le soutien d’un grand nombre de hiérarques hésitant entre l’ancien et le nouveau.
Dirigeant enfin les deux plus grandes instances du football mondial, les deux amis sont arrivés au bout de leurs ambitions. Mais, timidement, Platini, s’affirme comme futur candidat à la présidence de la FIFA. En 2011, il accepte pourtant de soutenir une nouvelle fois son ancien patron en espérant que la place sera libre pour la prochaine élection. Ce que lui confirme Blatter. Ce dernier se répand d’ailleurs en éloges dans les médias pour celui qu’il dit voir comme son successeur naturel : « Michel est prêt s’il le veut. Bien sûr qu’il ferait un bon président. » répond-il à France Football en janvier 2012. Pourtant, en 2015, lorsque Blatter se représente à sa propre succession, Platini, excédé, refuse de le soutenir.
De fait, les relations entre Platini et Blatter ne sont plus les mêmes depuis déjà cinq ans. L’attribution de la Coupe du Monde 2022 au Qatar les a mis à dos à dos. Alors que Blatter voulait la donner aux Etats-Unis, Platini, par son enthousiasme pro-qatari, semble avoir convaincu plusieurs membres du comité d’attribution de donner leurs voix à l’émirat.
Et c’est justement de cette affaire-là que Blatter se sert aujourd’hui pour entraîner son ancien comparse dans sa chute. Platini s’étant arrangé pour ne pas être associé aux affaires de corruption ayant amené la démission du Suisse, ce dernier cherche à s’offrir une dernière gourmandise : la tête de son vieux copain. Le 5 Juillet, il déclare au journal allemand Welt am Sonntag, que le choix du Qatar comme pays hôte de la Coupe du Monde 2022 est dû à l’intervention politique de Nicolas Sarkozy. Il met en avant un déjeuner qui a réuni celui qui était Président de la République et le chef de l’UEFA. Il avance que la décision était justifiée par des intérêts économiques, notamment français et allemands. Chevalier blanc, Blatter déclare s’inquiéter pour la FIFA, qu’il craint de laisser aux mains d’un prédateur comme Platini : « Je suis ici pour me battre. (…) J’ai peur qu’ils souhaitent briser la FIFA, un travail auquel j’ai contribué ».
Mais cela n’empêche pas Platini d’annoncer le 29 Juillet sa candidature à la présidence de la FIFA. Après deux mois d’atermoiements, l’ancien footballeur reconverti en fin politique se lance enfin à la conquête de l’institution dont Blatter a finalement perdu le contrôle.
Ce dernier ne s’avoue pas vaincu et n’a pas envie de laisser son vieux copain s’en tirer. Dans un article du 15 août publié par le journal néerlandais Volkskrant, il prétend que Platini aurait menacé de l’envoyer en prison. Il s’émeut des propos que lui aurait rapportés son frère. Au cours du mois de mai, celui-ci aurait déjeuné avec Platini. Le futur candidat à la présidence de la FIFA lui aurait alors dit : « dis à Sepp de retirer sa candidature, ou il ira en prison ». Ces propos que, bien évidemment, Platini nie avoir tenu, sont en tous cas pour Blatter une arme contre son ennemi.
Et il semblerait qu’il ne soit pas décidé à s’arrêter là. D’après le journal Welt am Sonntag, Blatter aurait commandé un article à charge sur Michel Platini afin de le discréditer. « [Platini est] l’un des plus grands magiciens du ballon que l’Europe ait jamais vu mais n’est pas assez grand pour être président de la Fifa si l’on regarde du côté du Qatar » aurait-on pu lire dans ce brûlot qui aurait été nommé : « Platini : un squelette dans le placard » s’il avait été publié.
Si l’UEFA a répondu à cette attaque en demandant une enquête à la FIFA, il se pourrait que Blatter obtienne ce qu’il désire. Mais, celui que l’on surnommait autrefois Michel Blatterini, a retenu les leçons de son maître. Il sait que l’élection ne se jouera pas dans les grands médias mais au niveau des petits pays. Longtemps été critiqué pour être un homme de l’Europe, fermé aux petites fédérations, le dirigeant européen a ouvert son horizon. Dans le communiqué de l’UEFA annonçant sa candidature à la présidence de la FIFA, on entrevoit le nouveau Platini « à l’écoute de tous dans le respect de la diversité du football dans le monde ». Malgré son ultime tentative pour enrayer l’ascension de son ex-poulain, le maître devra peut-être s’agenouiller devant son ancien élève. Il pourra toujours se rassurer en se disant que ses méthodes resteront appliquées à la FIFA.
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : AP21771632_000001.
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