Selon notre analyste, le plan Kushner-Trump sur la Palestine n’a qu’ « un intérêt momentané, électoral et judiciaire » pour les Américains et Israël. Voyons plus loin.
Tel qu’il a été annoncé (de façon encore incomplète et imprécise) le plan Trump, présenté comme devant apporter une paix pérenne entre Israël et les Palestiniens, déconcerte ou choque presque tout le monde, et ne satisfait que les nationalistes-impérialistes israéliens. Les commentateurs estiment, à juste titre, que la parcellisation des territoires reconnus ou accordés aux Palestiniens rend impossible le fonctionnement d’un Etat, et sera un facteur de guerres incessantes entre deux peuples que tout oppose.
En effet les cartes pseudo officielles du plan semblent consacrer un système de »peau de léopard » (du type des bantoustans de l’apartheid ou du Kosovo de Kouchner). En réalité, ce plan a surtout un intérêt momentané, électoral et judiciaire. Trump, en campagne pour sa réélection, était englué dans une procédure absurde de destitution, il avait bien besoin de reprendre la main sur l’agenda médiatique. Il en va de même, en pire, pour Netanyahou, sous le coup de plusieurs procédures criminelles pour corruption, qui peuvent l’envoyer en prison s’il n’arrive pas à se constituer une majorité. En plus de ses malfaçons rédhibitoires, le plan présente une autre faiblesse congénitale : il a été conçu sans le moindre égard des autorités palestiniennes et de leurs revendications majeures.
Trump et ses « deals »
Toutefois il faut replacer ce plan dans le cadre de la méthodologie du dealing, chère à Trump : foncer le plus loin possible, puis négocier et revenir sur une ligne plus consensuelle. C’est ainsi qu’il a pratiqué avec le Canada, le Mexique, la Chine, la Corée du Nord, l’Iran, la Turquie… et l’Europe. Et dire que quelques chroniqueurs peu sérieux pensent voir là une imprévisibilité ou une incohérence du personnage ! Gageons que, à peine réélu (on voit mal qui pourrait le battre), il reprendra le dealing avec Mahmoud Abbas, pour l’instant furieux. Parions que l’Arabie, les Émirats et l’Égypte proposeront alors un autre plan de paix et que Trump pourrait alors se donner le beau rôle de celui qui consent à reculer. Reculer, mais sur quoi ? Les Palestiniens se voient reconnaître, par le plan Trump, l’existence de leur Etat, le droit d’avoir une économie autonome sans blocus, et une communication permanente entre Gaza et la Cisjordanie par un tunnel presque aussi long que le tunnel sous la Manche. Ce sont des avancées considérables. Le tout bien sûr à condition que le futur état palestinien reconnaisse l’état d’Israël.
Toutefois deux points intrinsèques de discorde considérable subsistent : l’emplacement de la capitale du futur Etat palestinien. Et le devenir des terres colonisées ou occupées, y compris dans la vallée du Jourdain. Les deux réponses seront particulièrement épineuses. Les Palestiniens – c’est sûr – ne renonceront jamais à installer leur capitale à Jérusalem-Est qui a été arrachée par la force militaire. Or il n’est pas certain que le premier ministre qui succédera tôt ou tard à Netanyahou s’opposera catégoriquement à cette formule de deux capitales dans la même ville. En revanche, la vraie pomme de discorde sera l’hypothèse du retour d’Israël dans ses frontières d’avant la guerre des 6 jours. Cela impliquerait l’abandon des implantations illégales en Cisjordanie et dans la vallée Jourdain…
Un territoire, des communautés
Et il y a bien d’autres questions qui subsistent, non-dites, alors qu’elles grèvent la Terre- Sainte depuis des siècles. Ce territoire a été constamment ballotté par les invasions et dominations étrangères qui se sont succédé sans fin sur ce qui furent très épisodiquement le royaume d’Israël et le royaume de Juda. Égyptiens, Assyriens, Perses, Grecs, Romains, Byzantins, Arabes, Turcs, Croisés européens, Arabes, Turcs, Français, Anglais, Israélites se sont tour à tour disputés la domination sur ce lieu de passage… Aussi la légitimité que s’attribue le gouvernement Netanyahou pour revendiquer les annexions demeure non seulement historiquement assez fragile (v. Finkelstein et Silberman, La Bible dévoilée, 2002) mais contre-productive pour qui cherche une paix juste et donc nécessairement équilibrée. Quant aux discours venus de Gaza et alimentés par l’Iran sur la destruction de l’Etat d’Israël ils sont tout aussi, sinon beaucoup plus, bellogènes. Cette discontinuité historique est peut être paradoxalement une chance. Notre regard d’Européens fausse la prospective car nous sommes déformés par notre vision territorialiste et laïque des espaces géopolitiques. Or l’Orient a toujours fonctionné de façon communautariste. Les frontières sont fluctuantes mais les communautés, principalement religieuses et linguistiques, demeurent les points d’ancrage incontournables. Les problématiques impériales, romaines, byzantines, arabes, turques, puis anglo-françaises ont dû en tenir compte. Ici, les frontières géographiques sont avant tout destinées à accueillir des communautés lorsque celles-ci ne savent pas – c’est le moins qu’on puisse dire – cohabiter. Et ces frontières, souvent modulées, sont et seront encore modulables. Ainsi les frontières de l’Égypte ne datent-elles que de son indépendance en 1920 ; à peine 100 ans. Or l’Égypte borde Gaza et Israël sur 220 km, et l’idée utopique, mais logique, serait de la modifier pour obtenir un peu d’espace afin de réduire la pression démographique à Gaza et en Israël. Et de permettre préserver les frontières d’avant 1967.
Et les chrétiens ?
Enfin il n’est pas possible de réfléchir à ce sujet sans parler des nations et des religions. Deux nations certes (palestinienne et israélienne) se partagent ces terres, mais il y vit trois religions (dont certaines scindées) et on y vénère les lieux saints emblématiques majeurs du judaïsme et du christianisme, mais aussi de l’Islam. Or le plan Trump n’aborde pas de face ces questions pourtant susceptibles de le faire échouer. Or encore, la protection de la minorité arabe chrétienne en Palestine, opprimée et poussée à l’exil, se pose. En 1935, ils étaient encore 105 000 notamment à Nazareth et Bethléem, pour 350 000 israélites et 835 000 arabes sunnites. Mais la religion de paix est mal préparée à se défendre : ils ne sont plus aujourd’hui que 225 000 sur 4,5 millions ; en Israël ils ne sont plus que 2% contre 5% en 1975. L’Occident ne les voit pas et le plan Kushner-Trump ne les envisage pas. A cette question est liée celle des lieux saints, chrétiens, musulmans et judaïques. Mont du Temple, Noble sanctuaire, Dôme du Rocher, Esplanade des mosquées, Mur des Lamentations. Personne ne parle plus du plan du Vatican de l’internationalisation des lieux saints qui, pourtant, serait un facteur d’apaisement. Et tout le monde semble avoir oublié – y compris nos six derniers présidents, que, encore à présent, c’est la France qui est protectrice (et parfois propriétaire) des lieux saints chrétiens, en vertu d’un Traité (dit des « capitulations ») passé entre François Ier et Soliman le Magnifique, et jamais dénoncé.
Les pays arabes lassés
Les réactions des États arabes au plan Kushner-Trump sont bien plus prudentes qu’attendu.
Pour les Émirats arabes, ce plan est »une initiative sérieuse qui représente un important point de départ pour un retour à la table des négociations ». La crainte de l’Iran inspire cette réaction, on se lasse de l’interminable conflit palestinien qui est dans l’impasse depuis un demi-siècle. Même si le roi Salmane d’Arabie a assuré Mahmoud Abbas de son »soutien inébranlable » aux droits des Palestiniens. Quant à la Jordanie, gardienne des lieux saint musulmans, chassée de Jérusalem-est par la force, elle ne peut faire autrement que de réclamer le retour aux frontières de 1967 ; sans trop y croire. Le secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Aboul Gheit, a indiqué que son organisation, est ouverte à »tous les efforts sérieux en faveur de la paix et étudie minutieusement la perspective américaine », qui toutefois »montre une importante violation des droits légitimes des Palestiniens ». On peut penser que la Ligue arabe proposera ses bons offices, que des milliards de dollars seront mis sur la table, et que, une fois réélu, Donald Trump modérera ses positions qu’il sait excessives. D’ailleurs, mis à part les nationalistes israéliens, l’opinion israélienne, elle aussi lasse, sait que ce plan qui a été critiqué par ses plus prestigieux universitaires, ne verra pas le jour, mais qu’une paix est désormais possible.
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