Plan 75, le nouveau film de la réalisatrice japonaise, Chie Hayakawa, aborde un sujet difficile, l’euthanasie, mais au lieu de prendre parti pour ou contre, il pose la question du sens et de la valeur de la vie humaine.
Il ne fait pas beaucoup de bruit. On n’aime pas beaucoup parler de ces choses-là quand on n’a pas des raisons impérieuses et personnelles de le faire ou qu’on ne nous demande pas formellement notre avis. Loin de Soleil vert (1973) où la suppression des vieillards était la solution à la surpopulation mondiale et à la faim dans le monde, Plan 75 est une réponse réaliste, modeste, presque discrète. La proposition gouvernementale de l’euthanasie volontaire des gens de 75 ans est doublement rationnelle : répondre à la dérive exorbitante des coûts liés à la maladie et au vieillissement, répondre à la solitude des anciens, leur perte du lien social, leur sentiment d’inutilité : presque un win-win.
Rien n’est obligatoire, nulle contrainte : c’est une offre sociale. Les personnes âgées intéressées reçoivent une somme élevée dont elles peuvent faire ce qu’elles veulent ; elles sont soutenues et accompagnées ; elles décident du moment de leur mort par perfusion.
Ce schéma humaniste et raisonnable recueille dans les sondages une très vaste approbation de la population générale. Les vieilles copines en parlent entre elles avec intérêt, regardent dans les catalogues ce qu’elles pourront s’offrir avant leur départ.
Le contraire d’un film manifeste
Certains critiques et spectateurs disent que c’est un film pro-euthanasie, d’autres que c’est un film contre. Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas un film manifeste. La vieille héroïne du film tente de résister à la proposition pour des raisons qui ne sont pas claires pour elle ; elle finit par céder et signe lorsqu’elle se retrouve seule, sans famille, sans amis, sans travail, sans logement. Ce n’est pas la contrainte qui la convainc mais l’anomie qui la submerge ; elle n’a pas la force de se tirer un coup de fusil dans la figure et accepte que la société se charge d’elle.
Le film évoque bien les ratés du plan, les bugs, les loupés, les dérives, mais cela ne remet rien en cause ; après 3 ans de mise en route, les objectifs sont remplis et le succès sociétal est tel qu’il est proposé de descendre l’âge d’accès à 65 ans.
Aspects dérangeants
Le film montre en passant certains aspects dérangeants. C’est un système à but lucratif ; l’opérateur privé augmente ses revenus avec le nombre d’inscrits tandis que le public, malgré l’argent investi dans la prime d’appel, économise le coût des retraites et des soins. La chaîne de production et du traitement technique des individus est dysfonctionnelle comme peut l’être tout système industriel. L’informatique bugue comme partout.
Les personnels trient et détournent les biens laissés par les souscripteurs à leurs décès. La prestation de soutien de la vieille dame (téléphone d’un quart d’heure bihebdomadaire) est assurée par une jeune salariée du Plan 75. Celle-ci accepte, contre le règlement, de la voir, puis de la sortir jouer au bowling avec ses amies… puis de recevoir l’argent de la prime. Mais ça ne la dérange pas puisqu’elle va mourir. Par contre la vieille dame reprend goût à la vie. La jeune fille lui rappelle que c’est contre le règlement.
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Un autre jeune salarié du Plan 75 découvre la vie difficile de son oncle venu signer, il lui facilite le process, c’est normal qu’il veuille mourir, il est seul et mal aimé… il a toujours été seul et mal aimé… Mourir librement lui rendra la dignité en abrégeant son mal de vivre.
Sans bien savoir pourquoi, lui non plus, le jeune homme a des doutes sur ce travail qu’il fait. Sur ce qu’est la vie, sans doute. Sur ce qu’est un dernier repas avec l’oncle. Jusqu’à se demander que faire du cadavre de cet oncle dans l’ordre de la dignité justement. Il est désemparé, ce jeune homme.
Mais en gros, tout ce système marche finalement. En termes industriels, il n’y a rien à redire, sinon améliorer le process. Il répond quand même à une demande, à des détresses. Les sondages sont pour ; le référendum serait pour.
Juste façon de traiter les choses humaines ?
A savoir si c’est la juste façon de traiter les histoires humaines, c’est autre chose. C’est ce que conclut sans doute le film où, avant le générique de fin, l’on voit errer dans la campagne, sans but, cette vieille dame qui en définitive a retiré l’aiguille de son bras pour décider sans bien savoir pourquoi de garder encore un moment cette vie déficitaire et inutile.
Plan 75, film dramatique de Chie Hayakawa, 2022, Japon, 1h 52m, sorti en France le 7 septembre.
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