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Plaisirs d’été


Combien d’entre vous ont été élevés dans le diktat estival du : « Surtout ne pas bronzer idiot ! ». Des générations d’enfants studieux ont subi, pêle-mêle, les visites de musées harassants, de châteaux ennuyeux et d’expositions exténuantes sans jamais broncher. Vous aspiriez à ne rien faire, à vous prélasser au soleil, à enfourcher un vélo sur une route de campagne et à partir loin, très loin des devoirs de vacances et de l’austérité éducative de vos parents. Cependant, il y avait toujours une « bonne» âme dans votre entourage pour stopper votre inclination naturelle à la fainéantise et au farniente. Toujours une grand-mère pour vous alpaguer en plein vol et vous dire : « Et si nous visitions ce château du moyen-âge, sa roseraie est, paraît-il, superbe ? ». Partagé entre le désespoir d’une enfance gâchée et la chance d’être un jour aussi cultivé qu’un bachelier d’avant-guerre, vous suiviez péniblement cette grand-mère qui citait Ronsard et le catalogue Meilland comme d’autres chantent les louanges de l’anisette et de la pétanque.

A ce moment-là de votre existence, vous auriez donné cher pour taquiner le cochonnet et vous affaler devant la télévision. Faire le plein de séries débiles et de plaisirs faciles était votre vœu le plus ardent. Mais vous n’aviez pas le temps, votre programme de lecture et de sorties « culturelles » vous empêchaient de profiter du moindre rayon de soleil. A ce rythme-là, la rentrée de septembre était un soulagement, mieux, une libération. Les années ont passé, vous avez tout fait pour piétiner et oublier cet héritage familial. La majorité obtenue, vous avez délaissé les cloîtres et les bibliothèques sombres pour vous immerger dans le monde des boîtes de nuit et des plages touffues. Rangeant ainsi au placard les leçons de maintien de grand-maman. Ses digressions sur la peinture italienne du XVIIIème siècle et son interminable description de la tapisserie de Bayeux ne vous réveilleront plus la nuit…en sueur. Un jour pourtant, vers la trentaine, vous trouverez que cette grand-mère n’avait pas tort de parfaire (au forceps) votre culture et vous vous surprendrez même à l’imiter. Aujourd’hui, vous ne niez plus qu’un peu de culture en plein cœur de l’été participe d’une bonne hygiène de vie.

Oui, mais alors où aller ? Que visiter ? On frise parfois l’indigestion de festivals en France. Pas une commune qui ne se targue de son « événement » culturel. Les édiles municipaux peaufinent leur agenda de l’été avec autant d’acharnement qu’un communicant politique chasse le bon mot dans un tweet. Avant que débute le flux et le reflux des vacanciers, je vous conseillerais deux « expositions », deux escapades provinciales, loin de la foule et des modes. La première se situe dans le Berry, il s’agit d’une visite (tarif : 5,5 €/ réduit : 4 €) à la fois spirituelle et physique. La montée des 396 marches de la cathédrale Saint-Etienne de Bourges (tour nord). Joyau de l’art gothique, la cathédrale est inscrite depuis 1992 au patrimoine mondial de l’UNESCO. Avant de grimper au sommet de la capitale berruyère, attardez-vous un instant dans la nef, appréciez sa longueur flamboyante, remarquez l’absence de transept, vous ne pourrez rester insensible à l’éclat cristallin des vitraux du XIIIème siècle. Ensuite, un peu de courage, dix minutes d’effort suffisent pour que vous soyez le maître de la ville. Son grand argentier. Une vue spectaculaire à 360° sur une province intacte, sur une cité qui a su se préserver des scories immobilières. Au pied de la cathédrale, vibrez au cœur de la vieille ville avec ses maisons en pans de bois, le Palais Jacques Cœur, l’Hôtel des Echevins, la Halle aux blés, le jardin des Prés Fichaux ou encore la Maison de la Culture inaugurée en 1963 par Malraux actuellement en réfection. Plus loin, respirez la bonne odeur des marais, survivance d’un passé ouvrier. Plus au nord, blottissez votre regard sur les contreforts du Sancerrois et ses terres calcaires. Au sud, ce sont les grandes parcelles ocres qui brillent de leur blé fauché. Cette vue vraiment magique offre une plongée historique, économique et sociologique sur un territoire assez méconnu. La deuxième escapade que je vous propose nous emmène, à l’extrémité ouest de la France, dans le Finistère à Landerneau. Changement de décor, le Pont de Rohan immuable en guise de carte postale vous accueille. Dans cette ville entre Léon et Cornouaille, le fonds Hélène&Edouard Leclerc pour la culture vient d’ouvrir un lieu d’exposition aux Capucins. Ce site entièrement réhabilité a accueilli le premier centre Leclerc en 1949 ! Aujourd’hui, il se compose d’une halle rénovée et d’une grande cour au cœur d’un couvent du XVIIème siècle.

Encore un coup de publicité du médiatique Michel-Edouard dont l’activisme culturel fait parfois crisser bien des dents. Il faut l’avouer, l’homme d’affaires suscite toujours une certaine appréhension lorsqu’il se lance dans des opérations de mécénat. La Grande Distribution, amie des arts est un concept assez révolutionnaire. Mais disons-le franchement, en l’espèce, c’est une grande réussite architecturale et la première exposition consacrée à Gérard Fromanger, l’un des piliers de la figuration narrative est limpide, didactique et réjouissante en plus d’être accessible (tarif d’entrée : 4 €/ Réduit : 2 €). De cet artiste, je ne connaissais rien si ce n’est son tableau intitulé « Salon de thé (1971) » de la Série Boulevard des italiens qui avait servi de couverture au Quarto Gallimard réunissant les romans noirs de Jean-Patrick Manchette. Cette rétrospective couvre cinquante ans de création (1962-2012) des premiers travaux sur la peinture et le tableau aux séries des années 70 en passant par les Quadrichromies des années 80 ou les rhizomes des années 2000. Alors si comme moi, vous avez eu une grand-mère tatillonne sur l’éducation, pour quelques euros, offrez-vous, dans le Centre de la France ou en Bretagne, un bain de culture cet été.

Cathédrale de Bourges
Place Etienne Dolet
18 000 Bourges

Exposition Gérard Fromanger du 24 juin au 28 octobre
Aux Capucins
29 800 Landerneau

*Photo : Gérard Fromanger/rebecca marks



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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