Expatrié en Asie depuis les années 90, Jean-Christophe Q. est jugé à Paris pour des viols et des agressions sexuelles sur un nombre effroyable de jeunes garçons en Malaisie. Il a documenté et filmé l’intégralité de ses crimes.
Il n’est pas facile ces dernières semaines d’attirer l’attention du public sur des sujets de société alors que la guerre se poursuit en Ukraine, que la violence se déchaîne au Proche-Orient et que nos banlieues semblent sur le point de s’enflammer. Mais quand même : en ce moment se tient à Paris le procès de Jean-Christophe Q, pédocriminel au parcours « hors-normes ». Pendant une trentaine d’années, cet enseignant installé à Singapour a écumé en toute impunité les pays d’Asie du Sud-Est à la recherche d’adolescents et pré-adolescents qu’il entraînait dans des actes sexuels filmés en leur promettant une rétribution dérisoire. La police a saisi lors de son arrestation plus de 90 000 vidéos le mettant en scène, dont le contenu a été jugé « particulièrement écœurant » par la cheffe de l’office spécialisé sur les mineurs de la direction de la Police Judiciaire elle-même….
Ce cas est donc « hors-normes », tant par la gravité de ces activités criminelles que par leur durée. Mais il n’est pas exceptionnel, loin de là : depuis qu’a cessé ce qu’on a pu appeler la « culture de l’étouffement[1] » il est devenu tristement régulier que des pédophiles soient identifiés dans les rangs de l’Éducation nationale. Et puisqu’il s’agit d’un problème « systémique », et non pas de cas individuels isolés, il convient d’y apporter une réponse globale, susceptible de prévenir enfin la répétition de ces horreurs. Il est donc temps, je le crois, d’envisager de réformer le statut qui prive nos enseignants d’une vie sexuelle harmonieuse et dévoie leurs pulsions. Je le dis haut et fort : nous devons mettre à bas le célibat des profs !
À ceux qui viennent d’interrompre leur lecture avec stupeur en se demandant pourquoi leur magazine favori a laissé passer une tribune d’une telle stupidité, je propose à présent de réfléchir un instant. Car après tout, ce discours, c’est exactement celui qu’on nous sert, depuis des décennies, à chaque fois qu’une affaire de pédophilie est mise à jour dans l’Église. Et c’est tout aussi inepte. Penser que la pédophilie – qui est un travers criminel – puisse être un dérivatif à une sexualité « normale » rendue impossible par le célibat des prêtres, c’est aussi faux que d’imaginer que le meurtre puisse être un exutoire à l’incapacité de se livrer à une violence légale. Le substrat « ontologique », dans les deux cas, est radicalement différent. D’un côté se trouve la « norme » (infiniment vaste de nos jours, en particulier en matière sexuelle, mais il faut bien le dire aussi dans un certain usage banalisé de la violence) et de l’autre la déviance criminelle. Ces concepts ne sont pas de même nature, tant sur le plan médical que juridique, bien que leur superposition partielle puisse parfois être source de confusion. La pratique maîtrisée de la violence dans les cercles de sports de combats, tout comme l’emploi contrôlé des armes à feu dans les clubs de tir, n’empêchent pas que se pressent parmi leurs membres, à côté d’honnêtes citoyens, justement ceux qu’attire un usage illégal et potentiellement criminel. De même, le fait que les enseignants aient droit à une vie sexuelle n’est absolument pas en mesure d’interférer avec la tragique probabilité que soient attirés par l’Éducation nationale ceux qu’habite une pulsion maladive et criminelle envers les enfants et qui recherchent avidement leur proximité. Et ce fut aussi pendant très longtemps – mais probablement moins à l’avenir au vu de la désertification avancée des cours de catéchisme – le cas de l’Église…
A tous mes amis progressistes croyants et (plus souvent) incroyants qui attribuent au célibat des prêtres – pour le remettre aussitôt en question – une responsabilité déterminante dans les affaires de pédophilie qui ont secoué l’Église, je répondrai donc qu’un prêtre débordé par ses envies sexuelles troussera peut-être une paroissienne (ou un paroissien), qu’il recourra probablement à la prostitution ou s’adonnera certainement à la pornographie. Il ne s’en prendra pas pour autant à un enfant s’il n’est pas, au préalable, disposé à cet acte criminel par une disposition qui n’a aucun lien intrinsèque avec son état ecclésiastique même si elle a justement pu le conduire à rechercher cet état… Et qu’elle n’a pas de lien causal avec le célibat ! À ces amis j’aimerais presque aussi pouvoir faire le reproche désarmant que certains – parfois les mêmes, d’ailleurs, ce qui est assez ironique – font aujourd’hui aux hommes qui ont l’audace d’émettre une opinion au sujet d’une question éminemment féminine – l’avortement[2], par exemple – en les accusant de mansplaining: si vous n’êtes pas catholiques, pourquoi vous accordez-vous le droit d’émettre un jugement sur la question du célibat des prêtres ? Mais voilà, justement parce que cette question est considérée comme susceptible d’avoir des répercussions sur la société tout entière, je reste persuadé au contraire que chacun est en droit d’émettre une opinion à son sujet…
[1] Le mot est de Claude Lelièvre, historien de l’éducation.
[2] Auquel, je le répète, je ne suis pas opposé.
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