Si on prend la peine de regarder ses textes, Aya Nakamura, c’est l’anti Sandrine Rousseau !
Beaucoup découvrent la chanteuse Aya Nakamura à la faveur de sa programmation potentielle à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Nombre de mes amis chers crient à la laideur, à la pornographie visuelle et auditive. Même le président du Sénat, Gérard Larcher, confiait l’effroi qui l’avait saisi après avoir entendu l’artiste. Il s’étranglait dans Télématin de certaines paroles en argot faisant « une ode à la levrette » (l’entièreté de cette séquence télévisuelle et de cette association indirecte dépassaient le seuil de l’entendement humain, surtout à l’heure du petit déjeuner).
Cependant Aya Nakamura ne saurait être réduite à ce descriptif. Comme un écrivain ne peut-être défini par une citation tronquée piochée dans son œuvre, cette chanteuse a construit, album après album, un univers musical et une personnalité charismatique qui ne sont pas réductibles à cette poignée d’éléments. Ce n’est pas un hasard si des centaines de milliers de femmes d’origines diverses ont fait entrer la chanteuse dans leur cœur au fil des ans. Même Sarah Knafo, la directrice de campagne d’Éric Zemmour, a balancé à fond les ballons la chanson « Pookie » dans sa sono pour plaisanter et embêter son candidat, qui s’en prenait à la chanteuse quelques heures plus tôt !
Aya Nakamura, l’anti Sandrine Rousseau
Allons droit au but : « Aya » est une femme puissante comme il y en a peu. Si elle est tant aimée par les femmes, ce n’est pas parce qu’elle remue frénétiquement son popotin devant les caméras (beaucoup le font avec une pareille ferveur sans trouver un écho particulier hors de leur cave). Plutôt parce qu’elle raconte dans ses chansons, à sa façon que l’on apprend à déchiffrer, la détermination face à l’adversité. Il y a dans ses textes une force inouïe, une affirmation d’elle-même qui tranche avec les lamentations qui caractérisent les discours contemporains sur les femmes. Avec Aya Nakamura, la femme est un requin plutôt qu’un bébé phoque, ce qui est assez rare pour être souligné.
Loin de certains rappeurs pleins de ressentiments qui mitraillent sans talent leur haine de la France, Aya se concentre sur l’essentiel – ses histoires, ses déceptions, ses désirs. Et sur ce terrain, soyons clairs : l’auteure de ces lignes se tiendra toujours du côté de celles qui célèbrent l’amour, et le sauve d’une certaine façon, que du côté de celles qui s’emploient à le tuer par peur du risque et haine des hommes. De même que je prendrai toujours le parti, comme elle, du féminisme qui affirme le désir féminin, plutôt que de celui qui s’emploie à castrer nos congénères phalliques.
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D’autant qu’Aya n’est pas une pleurnicheuse comme Lara Fabian, une cruche comme Wejdene, une désaxée comme Christine and The Queen, dit « RedCar », dit « Chris ». Aya n’est pas sans saveur comme Jenifer ou anxiogène comme Mylène Farmer. Aya, c’est un caractère et une personnalité : une battante qui sait qui elle est, ce qu’elle veut et s’affirme envers et contre tout. Elle injecte de l’énergie dans les oreilles de toutes celles qui sont traversées par les doutes. Aya, c’est la copine qui vous exhorte, quand vous tanguez, quand vous vous sentez affaiblie par la vie, à garder la tête haute. Aya Nakamura, c’est la chanteuse de l’« empouvoirment », qui vous rappelle ces évidences pour vous sentir moins seuls. L’amour fait mal, rien ne justifie l’irrespect, la jalousie rend fou, on pardonne quand on aime et tant d’autres choses.
Cette « girl power » avait d’ailleurs intégré le casting des « Femmes puissantes », émission de radio de Léa Salamé retranscrite dans un livre, qui interroge des personnalités féminines qui dominent la vie et l’époque. « Êtes-vous une femme puissante ? », lui demandait la journaliste, en décembre 2020. « Je ne sais toujours pas ce que ça veut dire, répondait celle-ci, avec l’insolence qu’on lui connaît. C’est une femme qui s’assume, je pense, qui n’a pas peur de dire ce qu’elle pense, d’être elle-même, en vérité. » Bien sûr qu’elle en est une, c’est une évidence. La banlieue ? Elle ne veut pas que ce soit associé à « la misère ». Aya, ne campe jamais en victime, chante toujours debout, sans avoir pour autant été épargnée par la vie.
Sa description du sexe fort est décomplexée, quasiment antimoderne, à minima traditionnelle. Sa chanson Super héros décrit avec une simplicité déconcertante son attrait pour ceux qui la dominent (raison pour laquelle une citation de cette chanson introduit un chapitre de mon livre, qui prend le contre-pied du néo-féminisme) : c’est l’inverse de l’homme « déconstruit », dénué de toute substance virile. Aya ne demandera jamais à son homme d’intégrer un stage pour se départir de sa « masculinité toxique » et c’est aussi pour cela qu’on l’aime. Dans le texte, Aya Nakamura, c’est l’anti Sandrine Rousseau.
Celle qui a appris à casser les portes
Dans ses textes, elle ne se confie pas uniquement sur ses considérations amoureuses : elle fait aussi le récit d’une prodigieuse ascension.
Aya nous raconte la détermination d’une femme malienne, qui naît dans un patriarcat africain, tout en bas de l’échelle sociale, qui a littéralement cassé les portes. Pour parler comme les sociologues, elle fait le récit d’une « transclasse », d’une destinée si rare qu’elle fausse les statistiques. Par l’affirmation d’elle-même, elle dépasse et surpasse son milieu, puis devient l’une des chanteuses les plus populaires en France, et l’une des Françaises les plus écoutées dans le monde.
A l’international, Aya Nakamura est peut-être l’une des chanteuses les plus consensuelles : on l’écoute dans les bars à Tel Aviv comme à Beyrouth, à Ramallah comme à Damas. Car l’auteur de ces lignes l’a entendue fièrement plusieurs fois dans les boîtes israéliennes, en des temps fort fort lointains (avant le 7 octobre), et gesticulait avec ses bras à cause de la musique pour faire comprendre à ses amis locaux qu’ils entendaient là une chanteuse française. Alors bien sûr, on peut détester son argot, son style vestimentaire par certains aspects pornographique, sa façon de travailler la langue toute personnelle qui nous oblige, comme avec tous les artistes, à faire un effort pour pénétrer dans son monde.
(Pour commencer d’ailleurs, je suggère cette chanson, piano-voix)
Mais il demeure aussi pour beaucoup d’autres, mille raisons de l’aimer et de se reconnaître en elle, sans pour cela avoir à trémousser son derrière devant une caméra.
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