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Place de la discorde

La mairie l’affirme : à l’issue des JO, la place de la Concorde sera « rendue » aux piétons...


Place de la discorde
Vision bénie-neu-neu de la place de la Concorde fournie par le CIO. La Mairie aimerait pérenniser certaines installations. © Paris2024/Pawel.gaul/Florian Hulleu

La mairie de Paris a une nouvelle cible dans son viseur : la place de la Concorde. Les ayatollahs de l’Hôtel de Ville sont déterminés à en bannir les voitures après les JO et à la « végétaliser » pour la rendre forcément plus festive. Une aberration urbaine et un affront à l’histoire de notre capitale.


Il fallait oser. Elle l’a fait. Anne Hidalgo s’attaque à la place qui, par son nom, incarne l’unité de la nation. La Mairie de Paris ne se refuse rien. Éléphant dans un jeu de quilles, elle a désormais dans son viseur la monumentalité royale de la place de la Concorde ; la plus grande de Paris et sûrement la plus belle du monde.

Mais pour l’Hôtel de Ville, c’est seulement un « vaste espace minéral entièrement consacré à l’automobile. L’un des pires îlots de chaleur de la capitale. » Le rapport paraphé par Anne Hidalgo poursuit : « C’est également une zone inhospitalière et dangereuse pour les piétons qui peinent à la traverser alors qu’elle représente, entre les jardins des Tuileries et les jardins des Champs-Élysées, un jalon essentiel de l’axe historique de Paris. L’obélisque qui trône en son centre est inaccessible [faux : des passages piétons permettent d’y accéder] et le patrimoine historique de la place n’est pas valorisé [vrai : la Mairie ne l’a jamais restauré, il s’effondre]. Dans la continuité des travaux d’embellissement de l’avenue et des jardins des Champs-Élysées, la Ville de Paris souhaite engager un projet de réaménagement pérenne de la place de la Concorde. La Coupe du Monde de Rugby, avec son village occupant la moitié de la place [on se souvient du carnage esthétique], et les aménagements sportifs préfigurant les Jeux Olympiques et Paralympiques l’ont montré : les Parisiens et les visiteurs sont prêts à se saisir de cet espace libéré [ils n’ont rien demandé] pour profiter pleinement de ce patrimoine historique et de cet espace public disponible [nullement question de profiter du patrimoine : ces aménagements cachent tout le paysage]. L’enjeu du réaménagement de cette place est à la fois climatique, patrimonial et paysager. »

© Paris2024/Pawel.gaul/Florian Hulleu

On craint le pire

De nombreux véhicules traversent quotidiennement la place de la Concorde mais la circulation, sur ces quelque sept hectares de pavés, a toujours été fluide ; jusqu’à ce que la Mairie nous ait donné un avant-goût de la punition collective, d’abord avec les interminables travaux de la rue Royale, puis ces derniers mois en créant de nouveaux goulots d’engorgement grâce à la pose de blocs de béton qu’elle chérit tant. C’est que, elle l’affirme : à l’issue des JO, la place sera « rendue » aux piétons. « Nous avons été élus pour transformer la ville et cela a toujours été notre volonté de ne pas faire revenir les voitures après les JO », insiste David Belliard, l’adjoint au maire en charge de l’espace public et de la mobilité. Si nous ignorions les capacités de vandalisme de la Mairie, son rapport prêterait à sourire. On lit notamment que les principaux objectifs poursuivis sont : « pacifier et apaiser la plus grande place parisienne », « renouer avec le patrimoine végétal et ses perspectives emblématiques », « offrir une nouvelle expérience et de nouveaux usages », etc. Ce charabia auquel nous sommes rompus se double cependant d’une quête de respectabilité démocratique. La Mairie a en effet créé une commission censée encadrer son projet (comique, lorsqu’on sait qu’elle s’assoit sur les vetos de la préfecture de Police). Cette assemblée, présidée par Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture, compte diverses et brillantes personnalités tels Stéphane Bern, le paléoclimatologue Jean Jouzel, le jardinier en chef du château de Versailles Alain Baraton, ou encore l’historien spécialiste de Paris Alexandre Gady. Ce dernier n’est pas dupe et déclare au Parisien (5 avril 2024) : « Il faut veiller à ce qu’on ne serve pas de caution à un projet contraire au génie du lieu », mais reconnaît que cette concertation est « un signe très positif, surtout après les erreurs regrettables sur certaines places comme celle de la République, transformée en mer de béton. » Ce panel de spécialistes du patrimoine s’est réuni pour la première fois début avril. En donnant le coup d’envoi de leurs travaux, Anne Hidalgo a lancé : « Il n’y a pas d’idées particulières. Ça dépendra du résultat de ce grand jus de crâne. » Qu’en termes choisis…

N’est pas vert qui veut

La place de la Concorde a connu différents états depuis sa création par Ange-Jacques Gabriel dans les années 1750. Elle a d’abord été bordée de fossés gazonnés (les balustrades encore visibles en rappellent le dessin), puis ces derniers ont été comblés et plantés de pelouses dans les années 1830, avant que l’obélisque soit érigé en 1836 et que le Second Empire, vers 1860, recouvre définitivement ces parterres de dallage de pierre. C’est cette place minérale et admirablement symétrique que nous connaissons. Là où les dingueries d’Hidalgo riment avec ses utopies, c’est que la place, aujourd’hui, ne peut retrouver ses fossés (le sous-sol est occupé par le métro), ni ses pelouses, puisque le projet prévoit aussi « des installations légères pouvant accueillir une alternance de grands événements, de manifestations culturelles et sportives, ainsi qu’une occupation plus quotidienne de l’espace public ». Les pelouses de la Concorde ressembleraient vite à celles du Champ-de-Mars : de la terre battue – et des voleurs à la tire !

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Le même extrémisme qui voulait « adapter Paris à l’automobile » dans les années 1970 se retrouve de nos jours dans cette volonté de désurbaniser la ville. « Végétaliser » la Concorde ne fera pas baisser la chaleur en été. Et vouloir détruire son équilibre témoigne du mépris impardonnable de cette municipalité à l’égard de notre patrimoine.

S’ils veulent de la fraîcheur, les néo-Saint-Just de l’Hôtel de Ville devraient regarder du côté du Cours-la-Reine, splendide promenade ombragée plantée par Catherine de Médicis le long de la Seine, entre la Concorde et l’Alma, totalement délaissée.

La plus belle place du monde, urbaine par excellence, est précisément mise en valeur par les feuillages des jardins des Tuileries et des Champs-Élysées. Elle est sertie par leur verdure comme une pierre précieuse est enchâssée dans sa monture. Elle est le trait d’union qui permet de comprendre cette perspective immuable, entre le Louvre et l’Étoile, imaginée par Le Nôtre.

Que Madame Hidalgo ose tout car c’est à ça qu’on les reconnaît est une chose ; qu’on la laisse faire par paresse ou lâcheté, ça, c’est inexcusable.

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Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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