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Les musulmans n’ont pas le monopole de l’antisémitisme

Réponse à André Perrin


Les musulmans n’ont pas le monopole de l’antisémitisme
Mémorial des victimes de la tuerie antisémite de Pittsburgh, 29 octobre 2019. Sipa. Numéro de reportage : 00882325_000007

Mis en cause par André Perrin pour sa relation de la tuerie antisémite de Pittsburgh, Guillaume Erner, l’animateur de « La Matinale » de France Culture, lui répond.


L’idée selon laquelle il y aurait un « nouvel antisémitisme » me paraît au mieux fausse, au pire purement idéologique. André Perrin peut ménager ses forces, je n’ai pas besoin de lui pour savoir que l’on doit à Mohammed Merah les premiers enfants tués en France, depuis 1945, parce qu’ils étaient juifs. J’ai raconté dans Charlie Hebdo, où je sévis, les difficultés que j’avais eues pour évoquer le caractère antisémite de cet attentat sur Canal + – je sais, cela paraît dingue, mais voilà ou nous en sommes… Inutile de me rappeler le meurtre d’Ilan Halimi ou bien encore celui de Sarah Halimi, je crois bien avoir été l’un des premiers journalistes à les évoquer. Mais en fait Monsieur Perrin et ses émules – il y en a sur les réseaux sociaux – se fichent pas mal de savoir ce que j’ai dit ou pas. Ce qui leur importe c’est de pouvoir crier que l’antisémitisme est chose musulmane. D’ailleurs ce n’est pas tant « l’anti-antisémitisme » qui les anime mais leur hostilité aux musulmans. Ils détestent tellement les musulmans qu’ils sont prêts à aimer les Juifs.

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D’où des raccourcis hallucinants, notamment cette propension chez certains, parfois juifs, à considérer que l’extrême droite peut protéger les Juifs. D’où les contorsions vertigineuses de Zemmour qui défend les Juifs à l’aide de Pétain et de Maurras. S’interroger sur la dangerosité respective des « deux » antisémitismes procède ou bien d’une incompréhension de ce qu’est l’antisémitisme, ou bien d’un simple calcul politique. Car la question n’est pas de savoir si l’Islam médiéval était plus accueillant pour les Juifs que son homologue chrétien – cette question a été définitivement tranchée par une multitude d’historiens de Jules Isaac à Salon Baron. Disons, pour faire bref, que la situation s’est progressivement dégradée pour les Juifs, en terre chrétienne, à partir du XIe siècle. Le point de bascule, c’est évidemment le XVe siècle, et pas seulement parce qu’il s’agit de l’expulsion des juifs d’Espagne. Le plus important, c’est que naît à cette époque la « limpieza de sangre », la pureté du sang, notion à partir de laquelle se pense l’essence juive. A partir de cette époque, un juif, même converti, demeure un juif. Les bases de l’antisémitisme nazi se construisent autour de conceptions voisines.

L’essentiel est de distinguer l’antijudaïsme traditionnel – musulman ou chrétien – de l’antisémitisme. Or l’antisémitisme n’est pas musulman, chrétien ou soufi : il est moderne. Il n’y a pas de différence fondamentale entre la représentation antijuive de Mohammed Merah et du tueur de Pittsburgh, Robert Bowers, qui doit aussi bien connaître le Coran que Merah. Leur imaginaire est commun, des Protocoles des sages de Sion à leur antisionisme instrumental. Leurs buts et leur mode opératoire sont similaires. Refuser de le comprendre c’est se tromper d’ennemi, ou plutôt en omettre un. Ce n’est pas la première fois : au début du siècle, il paraissait évident qu’un massacre de juifs à grande échelle ne pouvait avoir lieu que dans deux pays : la France ou la Russie. De nombreux érudits, à l’instar de M. Perrin, en étaient persuadés. Une preuve de plus que l’on peut tout savoir et ne rien comprendre.

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est sociologue et animateur de la matinale de France culture.

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