Pour être un homme politique aujourd’hui, il faut un certain masochisme. Les récompenses pécuniaires sont plus limitées que dans le secteur privé ; aux yeux du public, on porte la responsabilité de tout ce qui va mal dans le pays ; et on n’a plus le droit à une vie intime, les grands inquisiteurs de notre époque s’immisçant jusque dans vos affaires personnelles.
Déjà, il n’était pas bon d’être du genre masculin ces temps-ci, surtout sans tendance particulière adoucissant la virilité, mais alors vouloir être un homme politique relève du masochisme. Vous êtes l’ennemi public numéro un, certains diront qu’ils l’ont bien cherché, mais tout bien considéré, il faut les réhabiliter, surtout en ce moment ! et prendre conscience que leur situation est loin d’être enviable surtout lorsqu’ils réussissent à être bien placé, voire ministre. Tout d’abord rassurons les envieux : non ! Nos élus ne sont pas trop payés, il faudrait même qu’ils le soient plus au regard de leurs responsabilités et des sommes qu’ils sont amenés à manier et même si leur rémunération apparait mirobolante à beaucoup d’entre nous (sachant que l’on considère comme « riche » quelqu’un qui gagne un peu moins du double de soi). À diplôme égal, il n’y a pas à hésiter, ils devraient s’ils sont cupides choisir le privé. Le beau diplôme quel qu’il soit, dans la sphère publique vous met à l’abri du pognon, l’énarque ou le polytechnicien ne gagnent bien leur vie que dans le privé ; de surcroit, ils ne brillent pas particulièrement dans la Fonction Publique, entravés par le mille-feuille administratif et plombés par l’impact limité de leurs décisions. Quant à l’attrait du pouvoir, rions un peu : quel pouvoir ? Il est beaucoup plus attrayant de jongler avec les conseils d’administration lucratifs et les postes à haute responsabilité avec la possibilité d’exercer des talents qui peuvent vous amener à faire fortune ; ce n’est pas le cas en politique, sauf à magouiller en douce et à être malhonnête, ce qui est loin d’être le cas de nos dirigeants politiques élus ou pas, contrairement à ce que les Français aiment ratiociner : tous pourris, hurlant au scandale quand ils oublient de déclarer un revenu… Ce qui ne nous arrive jamais bien sûr.
Des politiques qui sont d’ailleurs tous soumis à la tyrannie de la transparence, ils sont sous-scellés, la moindre patte de homard consommée à la Questure vous soumet… à la Question ! Leur passé professionnel et leur avenir dans le privé sont tracés en guettant la faute hypothétique, ah ! le fameux » conflit d’intérêt » et la « prise illégale d’intérêts » qui sont devenus un suspense à répétition. La transparence poussée à l’extrême donne un espionnage permanent de la vie privée, avec ragots, colportages (le vieux mot pour fake news), interprétations, photos compromettantes qui ne devraient pas l’être, etc. Bonheur de vivre interdit (3 jours à Ibiza en voyage de noces et on se retrouve couvert de goudron et de plumes). C’est la jalousie qui sévit et non l’esprit d’une légitime probité.
Quoiqu’on en pense, ce sont les sacrifices imposés par la vie politique qui sont énormes et pas les bénéfices de la fonction : famille exposée, enfants surveillés, évaluation des signes extérieurs de richesse qui commencent aux vacances à la neige dans les Pyrénées — les Vosges c’est mieux, éliminer toute station plus ou moins à la mode… Et d’ailleurs au nom de quoi feraient-ils du ski ? C’est vrai, ils ont suffisamment de pentes glissantes toute l’année. Et puis ils bossent ! Plus que n’importe qui : des nuits écourtées, des week-end qui n’en ont que le nom. Une « permanence » de leur personne dont on aimerait bénéficier dans le corps médical !
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Héros de jeux de massacres sur les réseaux sociaux, fake news à l’appui et avec un peu de chance un compte parodique qui fera ricaner toute la France dont une petite majorité refusera de croire qu’il s’agit d’une caricature, et d’ailleurs, il n’y a pas fumée sans feu ! et la fameuse petite phrase coupée de son contexte : combien de scandales dans un verre d’eau ? Leur entourage n’en peut plus, ils sont tous atteints par la folie médiatique en place de grève ; en cas d’engueulade, leur femme ne pose plus sa main sur la leur, elle préfère déposer sa main (courante) au Commissariat en cas de pugilat qui tourne mal… et si l’homme réagit vertement par SMS, ce qui donnerait à l’épouse victime l’occasion non pas de le bloquer sur son portable (comme le fait votre fille quand elle ne veut plus que son petit copain l’appelle) mais de poser une deuxième main… galopante ! Rien n’est pareil, on vous dit, dans le lanterneau politico-médiatique.
Et quand je parle des hommes politiques, je parle évidemment de « celles zé ceux » (un égalitarisme sémantique qui encombre toute intervention publique et qui sera la trace incontestable indélébile laissée par le dernier quinquennat). Bref, si vous êtes une ravissante Premier Ministre et que vous dansez tard dans une boîte de nuit, vous n’aurez plus que vos yeux pour pleurer en conférence de presse.
Il faut certes distinguer ceux (zé-celles), qui auraient eu une vie fructueuse hors de la politique du fait de leurs bonnes études qui leur garantissent de bons salaires, des autodidactes de la politique sans diplômes particuliers non sans valeur mais pas de sacrifice financier à cette hauteur.
Au départ, il faut signaler le calvaire de se faire élire même si on peut légitimement penser qu’ils aiment ça, mais pas longtemps et peut-être pas à ce prix-là… La vie de famille écrabouillée, les réunions improbables dans des endroits improbables avec des futurs électeurs improbables. Et les discours, et les promesses ? Ah ! L’effroyable contrainte de dire ce qui plaît aux électeurs et que l’on ne pense pas ! Les promesses impossibles à tenir même si on croit pouvoir les tenir, le parti qui les soutient comme la corde soutient un pendu, les amis qui ne sont que de futurs concurrents, la canine aiguisée et le sourire en lame de rasoir.
Quand ils sont au pouvoir, à un certain niveau, il faut prendre les bonnes décisions : évident ? mais c’est sans compter le risque pénal dont on a pu mesurer les menaces pendant l’épidémie du Covid. Pourquoi le Premier Ministre ne voulait-il pas déconfiner ? Et pourquoi des ministres s’y sont-ils opposés jusqu’à ce que le Président de la République le décide lui-même ? Parce que seul le Président n’encourt pas de risque pénal, et c’est heureux ! Quel héros va risquer la prison pour assumer ce qu’il croit être bien, mais sans certitude ?
À tout cela s’ajoutent les nouveaux pièges d’une « France sens dessus dessous » qui veut jongler avec les tendances wokistes, les femmes voilées, l’émigration, les religions exacerbées, les exigences planétaires, les guerres, l’écologie punitive et radicale, les dettes des autres, faire des économies, les profs qui ne proffent pas, les chefs qui ne cheffent pas, les Français qui ne bossent pas… et la dette !? faire des économies par exemple en supprimant les chèques-cadeaux sans paraître un monstre indifférent à la pauvreté croissante, etc.
Alors finalement, une fois n’est pas coutume, reconnaissons-leur une volonté louable à vouloir redresser la France, une vocation, et même une forme d’abnégation ; accordons-leur le crédit (au sens figuré) de penser qu’ils sont aussi honnêtes que tout un chacun, qu’ils aiment la France, qu’ils pensent (un peu) ce qu’ils disent, et qu’ils ont plutôt le sens du sacrifice… sinon ils seraient tous complètement masochistes ? et nous complètement désespérés !
La France sens dessus dessous !: Les caprices de Marianne
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