Le général Pierre de Villiers a démissionné de son poste de chef d’état-major des armées sans démissionner de ses responsabilités, ni de son engagement pour la France. C’est en vérité et par la vérité qu’il sert encore notre pays, troquant l’épée pour la plume, suggérant sans jamais essayer d’imposer, portant simplement à la connaissance de chacun de quoi se faire une opinion lucide et réfléchie sur les questions de défense.
La paix ne va pas de soi. Il faut la conquérir et, une fois conquise, la préserver.
Servir est un livre à l’image de son auteur : pudique, résolu, érudit, sincère. Profondément respectueux de la République et de ses institutions, amoureux de la France, viscéralement attaché aux hommes et aux femmes qui la défendent. Vous n’y trouverez nul règlement de compte, nul esprit polémique, nulle envie de se mettre en avant. Des faits, des propositions, et l’émotion qui affleure parfois au détour d’une phrase malgré la réserve et l’exigence d’objectivité que Pierre de Villiers s’impose.
La véritable victoire se reconnaît plus à ses fruits qu’à ses trophées.
Je n’essayerai pas ici de résumer cet ouvrage, il mérite d’être lu, et lu en entier. Le dernier chapitre, « aimons notre jeunesse, elle nous le rendra », le justifierait à lui seul : c’est un diagnostic limpide et un appel à l’engagement d’autant plus percutant que son optimisme est de volonté et non de naïveté.
Le débat entre la force et la violence est fondamental sur ce plan. A la lumière du terrorisme, la violence est un déni de l’autre, alors que la force implique une retenue de la puissance. La force se refuse à la cruauté, à laquelle la violence conduit souvent. La force peut être affirmée, quand la violence se déchaîne. La violence recule là où la force avance.
Servir est accessible à tous, connaisseurs du monde militaire et de la géostratégie comme néophytes qui ignoreraient encore ce que sont Barkhane et Corymbe. On regrettera peut-être que certains points ne soient pas d’avantage développés, mais c’était sans doute nécessaire pour rendre compréhensible au grand public un tour d’horizon aussi complet des menaces contemporaines comme de l’état de nos forces, et même les spécialistes apprécieront ce point de situation. De Sun Tzu à la guerre spatiale, de Sentinelle à la lutte contre la piraterie dans le golfe de Guinée, de la nécessité de la souveraineté à l’importance de la coopération, des flux migratoires aux dérèglements écologiques, du terrorisme islamiste (« Face à cet adversaire, face à cette idéologie, face à cette situation sécuritaire, nous devons inscrire nos actions dans le temps long. Vaincre demandera des années d’endurance, de constance et de persévérance. ») aux ambitions renouvelées des états (« Le monde réarme (…) L’avantage technologique dont disposaient l’Europe et l’Occident est en train de fondre. L’heure de la fin de l’insouciance a sonné. »), de la solidarité à l’autorité.
L’important n’est pas l’exercice du pouvoir, mais celui de la responsabilité.
Pas besoin, non plus, d’avoir l’expérience des finances publiques – même si lorsqu’on a soi-même affronté Bercy la litanie « gels, annulations, reports de charges, reports de crédits, surcoûts OPEX et OPINT » prend une saveur particulière. L’essentiel est simple : il est grand temps de renoncer aux illusoires « dividendes de la paix » et de se souvenir que « le prix de la paix, c’est l’effort de guerre ». Passer de la gestion à la stratégie devient urgent, tout comme il est urgent que la nation fasse preuve de loyauté envers ces hommes et ces femmes qui versent leur sang pour elle, en leur donnant les moyens de remplir leurs missions et de vivre décemment avec leurs familles.
Le général ne se contente pas d’affirmer, il prouve. On apprend ainsi que notre porte-avions, notre unique porte-avions, est bloqué pour entretien pendant…. un an et demi. Ou que pour transporter nos troupes l’armée de l’Air doit louer des avions russes et des équipages ukrainiens, ce qui ferait sourire dans un Indiana Jones mais beaucoup moins lorsque, comme le dit Pierre de Villiers, on fait la guerre à balles réelles. De même, le fiasco historique du logiciel de traitement de la solde Louvois est une formidable leçon de bêtise technocratique et d’obstination infantile.
Et pourtant, l’amour de la patrie demeure, intact.
La grandeur de la France s’est incarnée à de multiples reprises dans notre histoire, et ces pages glorieuses ne sauraient être oubliées par les exercices de repentance, de culpabilisation et d’excuses dont on nous abreuve parfois. Chaque Français est dépositaire de cette richesse, mais aucun n’en est propriétaire.
Poète ? Le général de Villiers, en tout cas, n’est pas dépourvu de poésie lorsqu’il évoque en quelques mots son enfance rurale, une veille de Noël dans le désert, ou un café offert avec une générosité absolue par des gens dont le village venait d’être rasé par un bombardement.
Revendicatif ? Jamais pour lui-même, mais soucieux de ses subordonnés en lesquels il voit avant tout des frères d’armes, et pour lesquels il a une profonde admiration en même temps qu’il s’inquiète de leurs blessures physiques et morales, de leurs familles fragilisées par les absences et les mutations successives, de leur trop réelle paupérisation.
Fraternité (…) qui rend inconcevable l’abandon du camarade à son sort.
Ce livre est aussi l’occasion pour un homme de nous faire toucher du doigt quelques principes qui l’ont guidé dans sa vie en même temps que la vie les lui enseignait. Bien au-delà des quelques citations qui parsèment cet article, chacun y trouvera de quoi réfléchir, sur la sécurité, l’exercice du pouvoir, la victoire et la paix, la solidarité et le respect d’autrui, les défis qui nous attendent, le courage et l’engagement.
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