Deux biographies paraissent sur le chanteur et l’acteur qui sont devenus au fil du temps des figures patrimoniales.
Les lumières de Noël, les rues enguirlandées, l’envie de faire une pause. Essayons, le temps d’une lecture, de tenir à une distance respectable nos emmerdes, comme aurait dit Charles Aznavour.
Concepteur et animateur d’émissions de radio, spécialiste de la chanson française, en particulier de Georges Brassens et du génial Boby Lapointe (rendu ignoble par Claude Sautet, dans Les Choses de la vie), Alain Poulanges propose de nous plonger dans la vie du sémillant Pierre Perret, en prenant comme fil rouge ses chansons. C’est captivant. À la fin de son ouvrage, vous saurez tout, tout, tout, tout, ô gué, ô gué, sur l’auteur des « Jolies colonies de vacances » que fit interdire Yvonne de Gaulle. Né en 1934, ce castelsarrasinois, à la bouille de gamin espiègle, n’a cessé de colorier notre quotidien depuis ses débuts en 1957. L’originalité de ses expressions, piquées aux pochtrons accoudés au zinc du café de ses parents, virevoltent dans la mémoire collective. Mais Poulanges rappelle que « Pierrot » a aussi écrit des textes engagés dénonçant les préjugés, les injustices et les contradictions d’une société égoïste et frileuse. Il sait également émouvoir. Je ne peux écouter « Mon p’tit Loup » sans avoir les boyaux qui se nouent. Victime d’un viol, une jeune fille trouve un peu de réconfort auprès d’un homme (peut-être son père). « T’en fais pas, mon p’tit loup/C’est la vie, ne pleure pas/Oublie-les, les petits cons qui t’ont fait ça ». Cet humaniste au cœur tendre, militant du bonheur, rate parfois sa cible. Sa chanson « Ferdinand » s’en prend violemment à l’écrivain Céline. On peut le faire, la liberté d’expression l’exige, mais quand on s’attaque à un monument, on soigne ses vers et ses rimes. L’alexandrin ébréché n’est pas de mise.
Alain Poulanges, Pierre Perret, la porte vers la liberté, L’Archipel.
Auteuil sans masque
Seulement deux livres ont été écrits sur Daniel Auteuil. Lui-même est avare de confidences. Sa vie privée est verrouillée. Quand l’acteur vivait avec la sculpturale Emmanuelle Béart, la presse people ramait pour obtenir des scoops et photos alléchantes. Nathalie Simon a dû mener l’enquête pour tenter de savoir quelle personnalité se cachait sous le masque. Elle a interviewé de nombreux professionnels du cinéma ainsi que ses proches, notamment sa fille aînée, Aurore, pour cerner au plus près le pudique Daniel Auteuil, né à Alger en 1950, fils unique de chanteurs lyriques. Mauvais élève, enfant de la balle, il fait ses premiers pas sur scène à 4 ans dans Madame Butterfly. À 16 ans, il endosse le rôle principal de La Demande en mariage de Tchekhov à Avignon, sa ville d’adolescent discret. Nathalie Simon le suit pas à pas et raconte avec rigueur son parcours cinématographique, théâtral, musical – il est aussi chanteur – et même de réalisateur. L’artiste n’a pas la grosse tête. Il résume : « Quand je mourrai, on ne parlera que des Sous-doués et de Jean de Florette. » Il obtient du reste un César en 1987 pour le personnage d’Ugolin dans Manon des Sources, de Claude Berri. Gérard Depardieu, avec lequel Auteuil a tourné à plusieurs reprises, précise : « Il est déjà sur la bonne pente, il ne se prend pas au sérieux ». « Gégé » ajoute, malicieux : « Il sait rire, il a des fous rires ». Auteuil a certes du mal à rivaliser avec la carrière de ses illustres aînés. Mais l’âge d’or du cinéma est loin désormais. Les acteurs borderline n’existent plus, l’esprit de sérieux et le politiquement correct ont eu raison des Michel Simon, Jean Gabin, Alain Delon… Seul Depardieu demeure hors-norme. Auteuil, avec le temps, a pris de l’épaisseur. Il ressemble à Al Pacino, les yeux couleur noisette cachés par de petites lunettes fumées. Il a le visage enténébré, sa voix reste sous l’emprise de la nicotine, même s’il a arrêté de fumer.
On le sent capable d’interpréter un personnage plus sombre encore que Léo Vrinks, dans 36, quai des 0rfèvres, d’Olivier Marchal. D’autant plus que son moteur reste chez lui l’angoisse. Mais comme le souligne Thierry Frémaux : « Faut pas le faire chier. Il est comme Depardieu, quand il se lève le matin, il faut que ce soit pour de bonnes raisons. »
Nathalie Simon, Daniel Auteuil, sous le masque, L’Archipel.
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