Il y a cinquante ans, Messmer imposait en matière d’économies d’énergies des mesures drastiques et de bon sens. Et personne ne criait à la dictature…
Pierre Messmer était-il une taupe écologiste ? Toujours est-il que le 30 novembre 1973, le Premier ministre de Georges Pompidou annonçait une série de mesure aux Français, digne d’une dictature verte : « Il nous faut économiser l’essence auto [oui on parlait encore comme ça en 1973]. Nous allons donc limiter la vitesse à 90 kilomètres à l’heure sur toutes les routes de France et à 120 kilomètres à l’heure sur les autoroutes ». Et pour faire bonne mesure, il annonce que « les courses automobiles et les rallyes seront jusqu’à nouvel ordre suspendus». Autre cible visée, le transport aérien : « Nous avons donné instruction aux compagnies de transport aérien de limiter au strict nécessaire la fréquence de leurs liaisons sur les principales routes aériennes. Étant entendu que, s’agissant de routes internationales, nos compagnies prendront leurs décisions en accord avec les compagnies étrangères».
Il met le pays à la diète thermique : « Une grande partie de l’électricité est produite par des centrales au fioul. L’EDF est d’ailleurs le principal consommateur de pétrole en France». Et annonce « l’interdiction entre 10 h du soir et 7h du matin de la publicité lumineuse, l’éclairage des vitrines des magasins et les illuminations des monuments publics, sauf le samedi soir et pendant la période des fêtes». Autre interdiction, «tous les jours, de 10 h du soir à 7 h du matin, l’éclairage des immeubles et en particulier des tours à usage de bureaux lorsque ces bureaux sont inoccupés». Même la télévision est dans le viseur. Il ordonne à l’audiovisuel public «d’interrompre ses émissions chaque soir à 11h du soir, sauf le samedi et pendant la période des fêtes ».
C’était la réponse apportée au premier choc pétrolier consécutif à la victoire d’Israël dans la guerre du Kippour et aux représailles des pays de l’OPEP qui avaient fermé les robinets.
Etrangement, pas d’émeutes, pas de braiement des lobbies d’automobilistes, pas de pleurnicheries patronales, pas de hurlements de l’opposition ou des syndicats. Tout le monde comprend qu’il s’agit de mesures de bon sens.
A lire aussi: Le malthusianisme, une idée neuve en Europe
Peut-être étions-nous encore dans une France qui se souvenait encore, comme si c’était hier, des restrictions de l’après-guerre et des cartes de ravitaillement. Peut-être un semblant d’honnêteté intellectuelle et d’intelligence politique faisaient comprendre à tous que n’importe quel gouvernement dans cette situation aurait réagi de la même manière que ce gaulliste pragmatique qui n’hésitait pas à « emmerder les Français ». Je reprends là une citation de Pompidou, « Cessez d’emmerder les Français », que la droite et Macron (maintenant c’est la même chose) adorent sortir à tout bout de champ à la moindre réglementation.
On s’est d’ailleurs aperçu que ces mesures prises sous la pression d’événements extérieurs ont eu des effets collatéraux heureux. C’est à partir de ce moment là que le programme nucléaire s’est intensifié et accéléré, d’une part, et que d’autre part on a commencé à penser à la sécurité routière comme un impératif national en s’apercevant que la limitation de vitesse diminuait drastiquement le nombre de morts.
Inutile de dire que dans des conditions similaires, cinquante ans plus tard avec guerre en Ukraine, les prix de l’essence auto qui explosent, la nécessité impérieuse de limiter les rejets de CO2 pour sauver le climat, le consensus dégagé par Messmer serait impossible. On a flirté avec la guerre civile quand Edouard Philippe a décidé de la limitation à 80 sur les routes, on crie avant d’avoir mal à la perspective de la création des zones à faibles émissions dans 25 grandes métropoles et on voudrait passer par les armes la proposition de Yann Arthus-Bertrand et de neuf co-signataires de limiter la vitesse sur les autoroutes à 110. On hurle à l’atteinte aux libertés individuelles. Mais de quelles libertés individuelles parle-t-on ? De mourir d’un accident de la route, de faire partie des statistiques de la surmortalité liée à la pollution ?
Allons, allons, Messmer aujourd’hui, aurait dit « plus de chaines infos ni de Netflix à partir de 22 heures». Là aussi, on pourrait trouver des effets collatéraux vertueux : lire, faire l’amour (les chiffres sur l’effondrement de la sexualité sont affolants), caresser son chat, boire un coup avec les voisins. Messmer, reviens, nous sommes devenus fous !
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !