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Pierre Mérot: l’adultère au temps du confinement

"Pars, oublie et sois heureuse" (Albin Michel)


Pierre Mérot: l’adultère au temps du confinement
L'écrivain Pierre Mérot © Astrid di Crollalanza

Dans Pars, oublie et sois heureuse, Pierre Mérot livre le portrait d’une délinquante des sentiments


Elle se nomme Sandy Courbet dans le roman épistolaire (même si ce sont des mails ici) de Pierre Mérot, à la fois auteur et personnage, qui lui ne change pas de nom.

On pense d’emblée au peintre Gustave Courbet et à son tableau L’Origine du monde avec ce sexe velu de femme offert à la vue de tous. L’origine de la vie, de l’amour de la mort. De l’amour décliné sous toutes les formes depuis la nuit des temps. Et toujours on y revient, et toujours on succombe, et toujours on entre dans une histoire incertaine, déstabilisante et vouée à l’échec. On finit par s’en remettre, mal, mais on s’en remet. Parfois, certes, c’est limite. Dans quelques cas, bien sûr, Thanatos remporte le match. On regarde le ciel, il est bleu dans la lumière d’août, les angoisses sont trop violentes, le cœur est gros, le chagrin pèse une tonne, et on finit par psalmodier les derniers mots de Pierre Drieu la Rochelle : « Mais nous avons joué, j’ai perdu. Je réclame la mort. »

La soixantaine en salle des profs

Sandy et Pierre ont joué. À armes inégales. C’est souvent comme ça quand l’un aime plus que l’autre. Pierre est prof de français, Sandy prof d’anglais. Malgré un certain confort d’être enseignant à Paris, la salle de réunion, le réfectoire, les néons, la sonnerie, quand on arrive à la soixantaine, ça ne motive plus trop. Pierre voudrait retrouver les sensations de jadis, les tourments au petit matin, les illusions perdues le soir, les questions sans réponse.

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Pierre Mérot a envie d’air. Il va être servi. Ni Sandy ni lui ne sont libres mais ça n’a pas d’importance. Sauf que le mari de Sandy n’est pas devenu un simple ami comme elle le laisse croire.  Quant à Pierre,  c’est un ours de 100 kilos qui boit de la bière, fume et court après le succès littéraire – son premier roman Mammifères (2003), prix de Flore, n’était pourtant pas mal du tout. Il va tomber raide dingue de Sandy « aux cheveux prodigieux », elle est son « sucre », une hors-la-loi de quarante kilos. Du reste dans Mammifères, que Mérot cite, son auteur n’écrivait-il pas en parlant de lui : « Vous avez un besoin presque vital de ceux qui ne vous aiment pas et votre sexualité vous pousse vers ce qui vous rabaisse » ? En plein coronavirus, avec confinement de deux mois, la banale rencontre se transforme en passion brûlante. Au passage, Pierre regrette presque que les contraintes gouvernementales ne soient pas plus dures. On ne peut pas lui en vouloir de demander davantage de chaines quand on connaît la servitude volontaire de certains enseignants. Sandy lui échappe, lui ment. Il sent qu’elle n’est pas la femme amoureuse qu’il espérait. Mais l’espérait-il vraiment, ce tourmenté masochiste ? Il écrit ce livre qui, sans Sandy, n’aurait pas existé. Mieux, il annonce une suite à Mammifères qu’on n’espérait plus – on jubile.

Vampires

Les écrivains sont des vampires, il ne faut jamais l’oublier. On ne sait pas ce que Sandy pense de leur relation puisque nous n’avons pas ses réponses. Il faut donc croire sur parole le romancier, ce qui peut faire sourire, surtout quand il écrit, comme si c’était en rouge dans la marge d’une copie : « Ton âme n’est pas belle, Sandy, je le redis et ce n’est pas une insulte. Elle a des éclairs de beauté, oui. Mais elle est essentiellement malhonnête. » La renaissance de l’écrivain est-elle à ce prix ? Il faut croire que oui. Mérot, encore : « Comme tu m’as fait souffrir, Sandy ! Comme tu m’as réinsufflé la vie, aussi ! »

Je me demande, après avoir refermé ce livre, si au fond l’amour ne doit pas être considéré comme une maladie virale. Une maladie virale qui impose un confinement définitif. Car la rupture n’existe pas. L’amoureuse, une fois partie, survit dans le corps d’autres femmes.

Pierre Mérot, Pars, oublie et sois heureuse, Albin Michel.

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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