Islam: Sans compromis, on aura la soumission


Islam: Sans compromis, on aura la soumission

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Propos recueillis par Élisabeth Lévy et Daoud Boughezala

Causeur. Beaucoup de Français s’inquiètent de la montée d’un certain islam parce qu’ils tiennent à quelque chose qui s’appelle la France, ou l’Occident, et au mode de vie qui va avec. Ils sont prêts à accueillir des musulmans, mais à condition qu’ils s’adaptent à ce mode de vie et à ce qu’on appelle communément « les valeurs ». Qu’est-ce qui ne va pas dans cette proposition ?

Pierre Manent. J’essaie de partir de ce que j’observe : l’installation de nombreux musulmans est allée de pair avec l’établissement des mœurs musulmanes dans notre pays. Quand on dit « ils doivent s’adapter à nous », il faudrait définir clairement ce que veut dire « s’adapter » et ce que veut dire « nous »… Je laisse de côté la troisième incertitude – que désigne ce « ils » ? Notre première tâche devrait donc être de nous demander un peu concrètement ce que nous sommes. Soit l’Europe n’est qu’une plaine immense et vide, un espace qui doit s’organiser selon le principe exclusif des droits de l’homme considérés comme les droits de l’individu particulier sans aucune attache collective : c’est la tendance dominante portée par les institutions européennes. Soit on croit au contraire que l’Europe n’est pas une plaine immense et vide, mais un paysage compliqué et accidenté fait de composantes diverses : les nations.

Que voulez-vous dire ? Que l’Europe, c’est une histoire commune et seulement cela ? Pardonnez-nous, ce n’est pas très nouveau… ni très progressiste.

Le mot « histoire » nous rejette entièrement dans le passé. Il s’agit du présent. Nous avons des mœurs, des formes de vie qui sont peut-être contestables mais qui sont consistantes. Ce que j’ai essayé de faire, de manière nécessairement sommaire, c’est de décrire le paysage humain européen. Une géographie dans laquelle les vieilles nations et la vieille religion de l’Europe prennent une importance considérable alors que la doctrine politique et morale à laquelle nous sommes assujettis nous interdit aujourd’hui de prendre en considération aussi bien les nations que les religions.

Sans nier l’importance de la religion dans l’idiosyncrasie des nouveaux arrivants que sont les musulmans, pourquoi ne pas les encourager à s’assimiler à l’habitus français majoritaire ?

Encore faudrait-il savoir ce qu’est cet habitus ![access capability= »lire_inedits »] À quoi leur demande-t-on de s’adapter, à l’Europe sans frontières ou à la France si bien dessinée ? Il faut choisir. La question première est donc la suivante : la France est-elle un ensemble humain destiné à continuer ? Ensuite, mesurons l’ampleur de l’effort que nous demandons aux musulmans en leur demandant de « s’adapter à nous ». Car, enfin, ils ont une empreinte collective extrêmement forte, qui relève pour eux de l’évidence, qui a une autorité collective qu’ils n’ont pas l’habitude de voir contester, qu’ils ne souhaitent pas voir contester et que, d’une certaine façon, nous leur donnons le droit de ne pas voir contester, puisque nous ne cessons de leur dire : « Vous avez bien le droit d’être musulmans, la République vous garantit l’égalité des droits. »

Leur disons-nous vraiment cela ? Dans le modèle français, « tous les droits », cela signifie « tous les droits comme individus », certainement pas « tous les droits comme nation », pour reprendre les termes de Clermont-Tonnerre. N’y a-t-il pas un petit malentendu à ce sujet ?

L’égalité des droits individuels est une composante essentielle de notre régime, simplement, elle ne suffit pas à définir la vie commune que nous menons effectivement. Si nous ne savons parler que le langage des droits individuels, nous nous rendons incapables de seulement voir ce qui se passe dans la vie sociale.

Le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, ne s’y est pas trompé. C’est dans le langage des droits de l’homme, comme le premier lobbyiste venu, qu’il a appelé à transformer les églises en mosquées…

J’ai été très surpris de sa déclaration, provocatrice au dernier degré. Nous avons droit à un lieu de culte, il y a une église désaffectée, pourquoi ne pas nous y installer ? Il est curieux que le recteur de la Grande Mosquée soit si peu sensible à la charge symbolique des lieux de culte. Que les édifices religieux d’une religion soient appropriés par une autre religion, c’est un des gestes les plus agressifs qui puissent se commettre entre les hommes.

Résumons : il faut d’abord définir le « nous ». Ensuite, il faut savoir en quoi ils doivent « s’adapter », ce qui revient à poser la question des modalités de l’intégration des musulmans. Tantôt vous employez le mot « amitié », tantôt celui d’« association ». Quel que soit le nom qu’on lui donne, pourquoi ce processus est-il en panne ?

Nous ne savons pas ce que veulent les musulmans de notre pays. Ils prennent si peu la parole, sinon de manière si codée, si prévisible, en s’enfermant le plus souvent dans la revendication plaintive ! Précisément parce qu’ils s’expriment si peu, ils ne laissent pas apparaître la diversité d’opinions et de sentiments qui existe certainement parmi eux, de sorte que sans doute ils ont peine à se connaître eux-mêmes. C’est de cette opacité qu’il faut sortir. Je propose d’aller vers un compromis, mais un compromis ambitieux. Ne soyons pas excessivement soupçonneux et vétilleux. Si la loi interdit à juste titre certaines conduites comme contraires aux principes de la vie européenne, pour le reste, acceptons que les musulmans suivent leurs mœurs. Je crois que la participation à la même aventure nationale est en mesure de rassembler les hommes dans la diversité de leurs mœurs.

Concrètement, pourquoi accepter certaines revendications communautaires et en refuser d’autres ? Comment tracer la frontière entre l’acceptable et l’inacceptable ?

C’est en effet difficile. Il me semble que la polygamie et le port de la burqa ne sauraient être acceptés. Pour le port du voile intégral, on voit bien les limites du langage des droits individuels. La femme voilée peut toujours dire : c’est mon droit, liberté de religion ! Et en écho : c’est son droit, elle ne me lèse dans aucun de mes droits ! Ce que blesse cependant le voile intégral en cachant le visage, c’est la première condition de la vie sociale européenne, une certaine confiance. Nous nous parlons « à visage découvert ». C’est à prendre ou à laisser. Nous devons être attentifs aux droits de chacun, mais nous avons le devoir de préserver notre forme de vie. Cela étant dit, je ne vois pas pourquoi notre forme de vie serait incompatible avec le foulard islamique qui laisse voir le visage.

En somme, en dehors de la burqa, on ne leur demande rien au sujet du statut des femmes, de leur enfermement, de leur contrôle par les frères ou les maris ? Ajoutons que le port du voile, par exemple, a des conséquences sur toute la collectivité, puisqu’il fait des femmes musulmanes un groupe quasiment « interdit » aux hommes non musulmans. Et la séparation des sexes telle qu’elle sévit dans les sociétés musulmanes n’est-elle pas contraire aux mœurs françaises ?

Oui, nous le savons depuis toujours, mais où puiserons-nous le droit et le pouvoir de transformer leurs mœurs à notre convenance ? Je connais bien une grande ville du Midi, dont les quartiers musulmans ne donnent à voir que les mœurs musulmanes. Par exemple : il n’y a que des hommes dans les cafés. Dans les écoles publiques, le ramadan devient une réalité de plus en plus consistante. Les enfants ne viennent pas parce que c’est ramadan, et le jour de l’Aïd, disons seulement que les jeunes gens sont plutôt « glorieux ».

Glorieux ? Parce qu’ils demandent des repas sinon halal du moins sans porc, alors qu’ils pourraient se contenter de manger la garniture sans se faire remarquer, pour montrer leur volonté de se couler dans le moule ?

Pourquoi voulez-vous qu’ils se coulent dans le moule alors que tout dans notre société leur dit : « Be yourself ! » Je ne vois pas d’ailleurs comment on peut justifier de rendre les repas avec porc obligatoires dans les cantines. Nous avons mieux à faire que ces petites vexations. Le problème le plus grave, c’est la dépendance des musulmans français à l’égard du monde arabo-musulman, y compris de certains de ses courants les plus incompatibles avec la vie européenne. L’urgence, c’est que l’islam de France soit gouverné en France par des musulmans français.

Dans Situation de la France , vous expliquez que les attaques terroristes de janvier exigent une sorte de mobilisation générale. S’il y a urgence, selon vous, à penser ce qui nous arrive, vous parlez explicitement de « guerre ». Mais contre qui sommes-nous en guerre ? Le terrorisme, l’islamisme, l’islam ?

Ce n’est pas une question à laquelle on répond par un seul mot. Pourquoi parler de guerre ? Nous voyons que l’armée française est aujourd’hui engagée sur trois fronts, dans le Golfe, en Afrique de l’Ouest et en France même, où les militaires protègent des bâtiments scolaires et religieux, les gares, etc. Le Premier ministre a évoqué à plusieurs reprises « l’ennemi intérieur ». Nous sommes donc pour le moins « sur le pied de guerre ». Cette guerre se développe sur la ligne de rencontre entre le monde arabo-musulman et l’Europe ou l’Occident. Dans cette « rencontre », je distingue trois phénomènes : le terrorisme islamique, l’immigration musulmane et les pouvoirs nouveaux des monarchies du Golfe.

N’est-ce pas une distinction un peu spécieuse, dès lors que certaines pétromonarchies financent des mouvements féministes en même temps qu’elles encouragent l’islamisation de l’Europe…

Si une mosquée salafiste financée par l’argent du Golfe encourage des terroristes, on a en effet une conjonction des trois composantes. Mais celles-ci sont par ailleurs essentiellement distinctes. Pas d’amalgame donc, nous en sommes d’accord. Les injonctions à rejeter tout amalgame seraient plus audibles cependant, si elles ne servaient trop souvent à entretenir le déni. Quelques semaines après les attentats de janvier, le ministre de l’Intérieur a rassemblé les responsables musulmans pour un vaste tour d’horizon sans que la question de la radicalisation des jeunes dans certaines mosquées soit seulement à l’ordre du jour. Pourquoi ? Parce que ce n’était pas une « demande » des personnes sollicitées. On se doute qu’en revanche, l’islamophobie était à l’ordre du jour. Interviewé dans Le Figaro, le nouveau président du CFCM assurait qu’il n’y avait aucune radicalisation dans les mosquées, que de toute façon ce n’était pas l’affaire des organisations représentatives musulmanes mais celle de la police.[/access]

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*Photo: Hannah.

La suite de l’entretien ici.

Octobre 2015 #28

Article extrait du Magazine Causeur



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