Les cartes postales de l’été, la nouvelle série de Pascal Louvrier
Les eaux du lac limousin, agitées par la brise du soir, sont propices à évoquer Pierre Loti, lieutenant de marine qui a parcouru le monde comme on cultive son jardin, avec ferveur et précision. D’entrée de jeu, Loti, né en 1850, à Rochefort, et mort en 1923, à Hendaye, annonce la couleur : « Les lieux où nous n’avons ni aimé ni souffert ne laissent pas de traces dans notre souvenir. » L’exotisme, la volupté, la jouissance amorale vont guider ses pas.
Premiers succès
De son vrai nom Julien Viaud, celui qui va faire de ses voyages des romans à succès, est né dans une famille protestante. Son enfance est austère, il lit la Bible, parle d’être pasteur, rend visite aux grands-mères de l’île d’Oléron, où il sera enterré, après des funérailles nationales, se promène dans les rues de Rochefort, ville endormie. Il s’étiole. Son frère, Gustave, de 15 ans son aîné, chirurgien de marine, le déride par sa bonne humeur. La proximité de la mer lui donne des envies de fuite. Après la disparition brutale de Gustave, mort de dysenterie, dont le corps fut immergé dans la mer des Indes en 1865, Julien s’installe à Paris pour préparer l’École navale où il est reçu en 1867. Il embarque deux ans plus tard.
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À partir de cette date, il ne cessera d’écrire. Il publie son premier livre Aziyadé, une histoire d’amour entre un marin et une sensuelle odalisque turque. L’auteur y mêle quelques souvenirs autobiographiques, mais possède également de l’imagination, n’en doutons pas. L’année suivante, il publie Le Mariage de Loti. Le livre rencontre le succès et le nom de Loti est lancé. Ce succès lui fait rencontrer les grandes figures de l’époque, parmi lesquelles de nombreuses aristocrates, et lui ouvre les portes de l’Académie française en 1891. Il triomphe de son illustre opposant : Émile Zola. La reconnaissance pour ce provincial né dans une famille pauvre.
Contradictoire, fantasque, infidèle
L’officier de marine sillonne le monde, infatigable, crayon de papier à la main, œil caméra avant l’heure. L’amour et la mort irriguent ses textes. Son style agit comme une drogue. L’expert en substances illicites, Raymond Roussel écrit : « Je suis pour les pages de Loti comme les morphinomanes pour la morphine, il me faut chaque jour ma ration de pages de Loti. »
L’homme est contradictoire, tourmenté, fantasque, infidèle. Il aime les femmes, ne déteste pas les garçons, se marie, revendique une liberté absolue, fait des enfants, se travestit, passe de salon en fête, sombre parfois dans une insondable mélancolie. On résume : une vie scandaleuse pour une nature oxymorique. Cela donne des textes envoûtants. Raymond Roussel a tapé dans le mille. Avant même la montée du soir, Loti regarde dans le miroir. Dans son journal (La Table ronde, La petite vermillon) en août 1891, Loti est à Venise pour rendre visite à Carmen Sylva, la reine exilée, descendue au Danieli. Il note : « Cet hôtel Danieli, où jadis la République de Saint-Marc recevait ses ambassadeurs, est un palais gothique, l’un des plus beaux de Venise, faisant suite à celui des Doges et dans le même alignement il a gardé ses escaliers de marbre, ses parquets de mosaïque et deux ou trois salles aux plafonds somptueux. Mais, en ce temps de démocratie, il est devenu un vulgaire hôtel où tout le monde peut descendre. » Le jugement de Paul Morand sera encore plus sévère dans Venises (1971). Il faut dire que le tourisme de masse aura déferlé tel Bonaparte et ses troupes sur la Sérénissime.
Le temps du désenchantement
Mis à la retraite en 1910, Loti demande à être mobilisé en 1914. Il est alors affecté comme agent de liaison auprès du général Gallieni. Il publie des reportages de guerre très en faveur des Alliés.
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Affaibli par la maladie, il souhaite revoir une dernière fois sa maison d’Hendaye dans laquelle il meurt en 1923. L’inlassable voyageur tenait à renouer avec ses racines et son enfance. L’écrivain, dessinateur et mélomane, est enterré à Saint-Pierre d’Oléron, dans la Maison des Aïeules, ultime escale du marin au pays de sa mère. Il est, paraît-il, enterré avec sa pelle à sable et sa chistera. Au seuil de la mort, il prend soin de se démaquiller, tout en cultivant sa légendaire excentricité.
Laissons le mot de la fin à cet écrivain, un peu tombé dans l’oubli, dont on fête le centenaire de sa mort (timbre à son effigie ; conférences ; pèlerinages sur les lieux chers à l’auteur des Désenchantées) : « Je n’étais pas né pour m’éparpiller sur toute la terre, m’asseoir au foyer de tous les peuples, me prosterner dans les mosquées de l’Islam, mais pour rester, plus ignorant encore que je ne suis, dans ma province natale, dans mon île d’Oléron. »
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