Pierre Jourde a vu la lente décomposition du système éducatif. Enseignant depuis une quarantaine d’années, il sait comment la bureaucratie, l’idéologie, l’ignorance puis la bêtise ont miné l’institution. Le constat du désastre est sans appel, mais il refuse le pessimisme.
Pierre Jourde sait de quoi il parle. Cet universitaire, romancier et critique littéraire n’a de cesse, au fil de ses chroniques publiées sur le site BibliObs, de dénoncer les intellos de France Inter, les offensives woke et islamistes, les syndicats étudiants, le monde de la « culture » qui renie notre culture… Sa liberté de ton lui permet de dresser un constat alarmant sur notre époque et de rappeler avec finesse tout ce que l’on doit au savoir et à la littérature. Jean-Christophe Buisson, qui signe la préface de son nouveau livre, On achève bien la culture, le qualifie de « FTP des Arts et des Lettres ». Nous lui avons demandé de prendre les armes.
Causeur. « L’école, en France, est largement un échec », écrivez-vous dans l’avant-propos de votre livre. Comment arrive-t-on à un tel constat ?
Pierre Jourde. D’abord, cela ne date pas d’hier. Lorsque j’ai été nommé maître de conférences en 1992, je voyais arriver des étudiants, titulaires du bac, qui avaient des difficultés à construire une phrase, rendaient des copies grouillant de fautes, et ne lisaient pas un livre alors qu’ils étaient inscrits en littérature. Balzac était pour eux une langue étrangère. Année après année, cela s’est aggravé. Il fallait alphabétiser les étudiants en lettres. Lesquels ignoraient aussi complètement l’histoire de leur pays. Le tiers des étudiants échouaient en première année. Ils avaient passé leur scolarité à aller sans problème de classe en classe, avaient eu le bac sans difficulté (89 % de reçus).
Habitués à ne pas s’engager, un nombre non négligeable d’étudiants attendent que la licence leur tombe dessus, soutenus en cela par certains syndicats étudiants.Le diplôme devient un droit. Mais il y a eu un déni, comme on en a la spécialité en France. Masquer les problèmes est toujours une urgence, pour ne surtout pas « stigmatiser », verbe qui sert à ne pas voir ce qui fâche. Souvenez-vous du livre Le niveau monte, en 1989, deBaudelot et Establet. Ils ont l’air fin, à présent. Il y a pourtant eu des alertes, nombreuses, pas écoutées, venant des enseignants, de nombreux livres de professeurs racontant en détail ce qu’ils vivaient. Puis des classements, dont le dernier en date, PISA, confirme ce qu’on refusait de voir : l’école française ne fonctionne plus, n’assure plus la promotion sociale des classes populaires, comme elle l’a fait
