Pierre Haïk, avocat star, est décédé le 19 février, à l’âge de 72 ans. Il était atteint de la maladie d’Alzheimer.
Pierre Haïk était un formidable avocat, un crack du barreau parisien. Avec son épouse Jacqueline Laffont, il a formé longtemps un couple redoutable, brillamment complémentaire et admiré à la fois pour sa compétence, ses réussites et son intégrité. Depuis quelques années, Pierre Haïk, protégé par l’amour vigilant et la sollicitude permanente de Jacqueline Laffont, était plongé dans un doux silence avec un amoindrissement de son exceptionnelle nature, toute de passion et d’intelligence. Pourtant, quand j’ai appris sa mort, je n’ai pas songé une seconde à l’homme d’aujourd’hui mais au plaideur magique, convaincant et enthousiaste qui a marqué tant de magistrats et favorisé la qualité de tant d’audiences. Ce qui me touche est que précisément Pierre Haïk n’ait pas été seulement la propriété corporatiste de ses confrères et de ses consœurs ni le soutien sans faille de ses nombreux clients mais l’avocat qui, au-delà de sa sphère proprement dite, suscitait une estime et une adhésion générales.
Pas gangrené par le cynisme obligatoire de sa corporation
Parce qu’il avait exercé un autre métier – psychanalyste – avant le barreau, sa culture, son sens de la psychologie, sa faculté d’écoute le distinguaient parmi tant d’autres qui manquaient de ces dispositions essentielles. Il n’était pas gangrené par cette sorte de cynisme obligatoire qui vient presque inéluctablement gâcher les expériences judiciaires les plus achevées.
Surtout, il me semble qu’il a créé un genre d’argumentation, une volonté de persuader et une manière de s’exprimer reconnaissables entre tous. Pierre Haïk n’avait pas une parole ordinaire, conforme, bêtement répétitive. Elle surgissait à chaque occasion, pour chaque procès, inventive, comme fraîche du matin, comme élaborée à l’instant, avec un rythme qui permettait de l’identifier sur-le-champ : pressé, précipité mais sans que sa phrase laisse le moindre raisonnement en rade, la preuve la plus modeste en souffrance, merveilleusement cumulatif, tel un Charles Péguy des audiences correctionnelles et des cours d’assises.
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Ce style d’oralité réglait une fois pour toutes l’éternel débat d’un barreau tacticien et mensonger ou d’un verbe spontané s’appuyant sur cette incontestable donnée : la sincérité est la plus efficace des armes quand elle sait irriguer la plaidoirie par excellence, celle qui vise à servir autrui et non pas à s’enorgueillir, soi. Pierre Haïk était un maître de cet effacement ne s’assignant pas d’autre finalité que la conquête de l’esprit de ses juges.
Une parole inoubliable
Je pourrais me souvenir du jeune Pierre Haïk quand, à la buvette du Palais, après avoir vite déjeuné, il s’apprêtait à partir à l’assaut des flagrants délits, de cette délinquance quotidienne et banale où il a appris et perfectionné des qualités naturelles avec une fougue qui, pour moi, était sa vertu principale. Je pourrais me rappeler quelques affaires criminelles où, avec la parfaite et exemplaire courtoisie de cet avocat hors du commun, il opposait à mes réquisitions une réplique que je pouvais discuter mais toujours profonde et intelligente. Il rendait notre possible désaccord dérisoire tant le grand avocat vous fait don d’une contradiction, ne vous en accable pas.
J’ai en mémoire ma dernière visite, en 2020 je crois, dans son cabinet en présence de son épouse. Avec mon émotion face à son comportement si gentil à mon égard, cherchant avec toutes les ressources de son être à me donner de lui la plus belle image qui soit. Je songe à Jacqueline Laffont qui, dans la solitude, avec leurs enfants, va se battre comme elle a toujours su le faire. Il y a des destins qui s’acharnent un temps à être mauvais pour prouver la résistance victorieuse de ceux qui les affrontent. Nous n’oublierons pas la parole inoubliable de Pierre Haïk. Jacqueline Laffont peut compter sur nous.
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