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Pierre-Guillaume de Roux, le dernier prince des Lettres


Pierre-Guillaume de Roux, le dernier prince des Lettres
L'éditeur Pierre-Guillaume de Roux sur le plateau de TV LIbertés, novembre 2017. Image: Capture d'écran TV LIbertés.

Pierre-Guillaume de Roux (1963-2021), notre ami et éditeur, s’est éteint vendredi dernier


Avez-vous déjà entendu rire, vraiment rire, le seigneur de la rue de Richelieu ? Je le vois encore, enfoui dans son fauteuil, encombré par ses longues jambes, protégé sous une barricade de manuscrits dans son bureau-capharnaüm de la rive Droite, le téléphone crépitant, recevant les auteurs réfractaires et moquant notre déplorable époque, les coteries en place, ses confrères malfaisants, les journaux complices, la lente disparition de l’écrit, l’art délicat d’éditer sans s’endetter et perpétuant ainsi la tradition familiale, d’une maison insoumise et bordélique ayant le goût du beau texte en héritage. J’ai eu ce bonheur-là, faire partie de cette famille de proscrits. Les bannis ont toujours fière allure quand la mitraille sévit de toute part. Ses auteurs portent cette légion d’honneur-là, sur la poitrine, celle d’avoir participé à une aventure éditoriale dingue ne répondant à aucune norme actuelle, se foutant éperdument d’un système oppresseur et s’amusant de leur propre audace, quitte à la payer cher médiatiquement. Je veux garder, aujourd’hui, le souvenir non pas du lettré ou de l’homme engagé, plutôt celui du passeur rieur et partageur, de sa gourmandise érudite qui me manque déjà tant. 

Une incarnation du monde d’avant

Derrière l’image figée de ce grand échalas en duffle-coat, figure hiératique de l’édition, bon fils aimant, fidèle en amitié, incarnation du monde d’avant, je veux me souvenir de son rire gamin. Il pouffait élégamment en rentrant la tête dans ses épaules, se contorsionnant à l’extrême. Je veux me souvenir de ce sale gosse à particules qui n’aimait rien d’autre que bousculer les mollesses du temps présent, qu’éperonner les certitudes, que faire éclore des manuscrits inconnus, que donner sa chance à l’incongru et au fantasque, aux réprouvés et aux marginaux. Adolescents, nous avions tous le fantasme d’une littérature guidant la Nation, il était et restera à jamais le dépositaire de ce rêve impossible. Nous savions que dans la nuit noire, au royaume des truqueurs, existait un éditeur parisien qui, après trois décennies dans ce métier éprouvant pour les nerfs et les bourses, s’émerveillait encore pour un roman, un essai, des chroniques, de la poésie ou des portraits épars. 

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Au prix d’efforts et face à des cabales indignes, il avançait toujours avec peu de moyens financiers, sans œillères et sans mitaines, dans le marigot de l’édition. Il avait l’œil et le doigté pour déceler dans une œuvre, l’éclat intérieur et son indicible lyre. Il fut un découvreur de talents, un agrégateur de mouvements, un activateur des mémoires enfouies, une borne autour de laquelle, des auteurs forts différents aux parcours politiques parfois opposés gravitaient. Une famille recomposée qui s’entendait sur un seul sujet : la qualité d’un texte. Son rythme et son fracas. Sa portée et son onde nostalgique. Pierre-Guillaume était de ces chevaliers qui savaient le combat perdu d’avance, mais qui ne résistait pas au plaisir d’entrer dans un jeu corrompu. 

Un travail d’artisan

Nous sommes loin des gestionnaires avisés et des modérateurs de pensée, des catalogues calibrés comme des émissions de télé et des progressistes affairistes. Pierre-Guillaume haïssait les meutes. Il sera toujours temps, après le chagrin, de faire le bilan, de louer son travail admirable d’artisan, son style sûr, son catalogue foutraque constitué en seulement une dizaine d’années, son absence de barrière idéologique et sa sainte liberté de publier sans se préoccuper des nuisibles au pouvoir. Il en fallait du courage et de l’énergie pour supporter tant d’infamies. D’autres que moi parleront mieux de son passage chez Bourgois, à la Table Ronde, au Rocher ou Julliard, de son regard sur Pound ou Jünger, de l’héritage intellectuel laissé par son père, Dominique de Roux, de ce fil invisible qui sous-tend toute une vie professionnelle. Je veux me rappeler surtout du plaisir enfantin qu’il avait, à la lecture d’un manuscrit. Et puis, le remercier une dernière fois pour ce voyage dans le passé, grâce à lui, je suis monté dans la machine à remonter le temps. Je savais qu’en grimpant l’étroit escalier menant à son bureau, j’allais atteindre une contrée sauvage et mystérieuse où les mots reprendraient naturellement leur pouvoir sur les êtres, où la fiction construirait mon imaginaire. Là-haut, la littérature m’attendait. Là-haut, un homme qui avait tout lu, hors des modes absurdes, me sourirait et me dirait d’entrer. Pierre-Guillaume nous a permis de toucher cette éternité-là.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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