Le billet du vaurien
Oui, j’ai eu honte d’avoir travaillé pendant trente-cinq ans dans un journal, Le Monde en l’occurrence, qui consacrait deux pages pour présenter Pierre-Guillaume de Roux comme un éditeur infréquentable, lui qui se souciait si peu de politique et qui n’avait qu’une passion : la littérature. Eussé-je été encore dans cette gazette convertie à l’ordre moral que j’aurais aussitôt démissionné. Dieu merci, sentant le vent tourner, je l’avais déjà fait dix ans auparavant pour travailler avec Frédéric Pajak pour L’Imbécile, puis avec Elisabeth Lévy pour Causeur où j’avais retrouvé quelques esprits libres qui étaient édités par Pierre-Guillaume de Roux. Enfin, un peu d’oxygène !
Le découvreur de Linda Lê
Il y a si longtemps que je te connaissais, Pierre-Guillaume. Tu avais été le premier éditeur à t’intéresser à Linda Lê, la jeune Vietnamienne qui partageait ma vie. Tu avais pris le risque de publier ses trois premiers livres : Un si tendre vampire, Fuir et Solo. Gabriel Matzneff qui était, si je ne me trompe pas, ton parrain, avait salué ton initiative en écrivant dans Le Figaro Magazine un article retentissant : A star is born . Il ne se trompait pas : les vrais écrivains reconnaissent aussitôt les vrais écrivains.
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Quand j’avais quitté les Presses Universitaires de France après la mort de Prigent, un grand éditeur lui aussi, remplacé par une femme qui refusait de publier le superbe livre d’Arnaud Le Guern sur Paul Gégauff sous l’odieux prétexte qu’il était trop marqué à droite, tu l’avais accueilli, comme tu le fis pour notre ami commun Ivan Rioufol, puis pour Pierre Mari et Jean-!ouïs Kuffer, sans oublier l’inénarrable Steven Sampson perdu dans des intrigues tordues avec Philippe Roth. Quant à l’amitié indéfectible que tu portais à Serge Koster, elle t’a amené à publier ses meilleurs livres, notamment son Paul Léautaud.
Affranchi de tous les préjugés
Vingt-cinq ans après avoir lancé Linda Lê, tu as également pris le risque d’éditer Marie Céhère et ses Petits Poissons, fabuleux roman d’apprentissage, ainsi que son essai sur Brigitte Bardot. Par pudeur, je tairai le plaisir que j’ai pris en voyant mon John Wayne figurer dans ton catalogue. Nous avions d’autres projets, notamment un qui nous tenait particulièrement à cœur : rééditer Louise Brooks, portrait d’une anti-star aujourd’hui introuvable et plus que jamais d’actualité, elle qui était comme toi affranchie de tous les préjugés.
Mais ce que je n’oublierai jamais, c’étaient nos dîners chez Yushi ou chez Yen, ainsi que les films que nous tournions avec Olivier François et Alfred Eibel chez Jacqueline, ton adorable mère. Elle a perdu un fils exceptionnel et elle ne s’en consolera jamais. Qu’elle sache au moins que pour nous aussi il restera gravé dans nos mémoires.
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