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Pierre Goldman : révélations ou désinformation ?


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Diffusé sur Canal +, le 29 janvier, le film de Michel Despratx et Philippe Nahoum, offre sans doute une thèse inespérée à ceux qui veulent encore s’accrocher à une icône : Pierre Goldman, gauchiste condamné en 1974 pour deux meurtres, puis acquitté au bénéfice du doute en 1976, est un martyr tombé sous les balles d’un groupe para-policier fasciste en 1979, parce qu’il représentait l’anti-France dans un pays resté viscéralement pétainiste.

Une thèse audacieuse : l’exécution par le SAC
L’assassinat de Pierre Goldman le 20 septembre 1979 aurait été perpétré par les services secrets français. Le Service d’action civique, S.A.C., police parallèle créée en 1960, aurait formé un commando de quatre hommes, dont un inspecteur de la Direction de la sureté du territoire, DST, et un homme des Renseignements généraux, R.G. L’ordre, donné pour des raisons politiques, serait venu du sommet de l’État.

À l’appui de cette « révélation », les auteurs nous mettent en présence de l’image (floutée) et de la voix (déformée) d’un ancien mercenaire anonyme, baptisé Gustavo pour l’occasion. Celui-ci revendique l’assassinat aux côtés d’un autre tueur du commando, exécutant ainsi un contrat commandé un an auparavant. Toute la presse a annoncé ce film avant sa diffusion au public, tout en marquant une distance prudente, mâtinée de quelques critiques.

Passons rapidement sur une erreur historique : ce n’est pas en 1966 mais entre la fin de juillet 1968 et la fin de septembre 1969 que s’est déroulé l’engagement de Pierre Goldman dans une petite guérilla, fantasque et hors d’époque, au Venezuela[1. Pierre Goldman, Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, Le Seuil, 1975 ; information validée par de nombreuses sources et par l’auteur], suivi de sa participation, comme guetteur, à un hold-up réussi à Puerto-la-Cruz[2. Jean Paul Dollé, L’insoumis, vies et légendes de Pierre Goldman, Grasset, 1997 ; épisode précisé par la suite par M. Prazan (voir ci-après) et validé par l’auteur].

Les auteurs du documentaire mettent en avant les nombreux détails apportés par Gustavo sur les circonstances de l’assassinat pour crédibiliser sa thèse. Parlons-en.

Hombre ou Hombres ?
Gustavo cite cette interpellation, mais au singulier (Hombre !) Tous les journaux avaient à l’époque relaté ce mot espagnol. Toutefois, selon Gustavo il aurait été lancé à Goldman par le chef du commando, pour attirer son attention, juste avant de l’abattre. Cette version correspond aux premiers témoignages, bientôt démentis par des déclarations plus fiables, affirmant que ce propos n’a pas précédé, mais suivi les tirs de balles. Par ailleurs, ce n’est pas un mot, mais une courte phrase qui a été lancée par l’un des tueurs (probablement : « Por aquí, hombres ! » ; « Par ici, les gars ! », l’un des complices indiquant par là aux autres le chemin de la fuite). Le commissaire Marcel Leclerc, chargé de l’enquête, comme les journaux de l’époque sont précis sur ce point[3. Marcel Leclerc, De l’antigang à la criminelle, Plon, 2000, ch. 5 ; voir aussi Libération, 26 septembre 1979]. Gustavo indique aussi que les hommes du commando étaient vêtus de bleus de travail, ce qui contredit les témoignages d’inspecteurs de la 9ème brigade territoriale, présents sur les lieux, au hasard d’une filature, faisant état de blue jeans et de baskets, ainsi que d’un blouson de cuir[4. Le Figaro, 22 septembre 1979].

Des armes et des balles.
Pour les armes, on le sait, il s’agissait d’un calibre de 11.43, et d’un 9 mm tiré par un P.38 (Gustavo omet toutefois de préciser qu’il s’agissait d’un P.38 « spécial »)[5. Marcel Leclerc, op. cit.]. Quant au nombre de balles ayant atteint Pierre Goldman, le film reste vague. Gustavo donne l’impression que le chef du commando, armé d’un 11.43, tire deux balles (« Il tire une fois à la volée, et une autre encore ») avant que lui-même ne tire avec son P.38. Si l’on s’en rapporte à la police, 7 balles ont atteint l’homme visé, provenant des deux calibres mentionnés[6. Marcel Leclerc, op. cit.]. « Combien de balles avez-vous tiré ? », demande-t-on à Gustavo. « Je ne me souviens pas », répond-t-il. Or, une réponse précise à cette question était capitale pour étayer sa version. Le nombre respectif de balles provenant de l’un et l’autre calibre n’a en effet pas été révélé. Des proches de l’enquête auraient pu ainsi valider le témoignage. On peine à croire que Gustavo ait oublié le nombre de coups de feu tirés par lui-même. Mais, le cas échéant, il disposait d’éléments publics pour rendre ses assertions plus crédibles. Enfin, on peut s’étonner de ce qu’avant de remettre son arme dans la sacoche d’un complice, détail important dont Gustavo s’obstine à taire la raison, il n’ait pas vérifié le nombre de balles dans le chargeur.

On s’étonnera de voir en Gustavo, ancien mercenaire, un tueur sans gages opérant par conviction. On est surpris, enfin, d’apprendre qu’il a fallu un an pour localiser un Pierre Goldman, dont la discrétion n’était pas la caractéristique majeure, et qui déambulait souvent entre le siège de Libération et une boîte de salsa, la Chapelle des Lombards. Les auteurs du film ne donnent aucun indice sur la piste suivie pour trouver le numéro de téléphone des comparses de Gustavo. L’anonymat généralisé interdit toute contre-enquête. Or, les assertions de Gustavo sur les circonstances factuelles de l’assassinat ne lui donnent aucune crédibilité. Comment le suivre sur la piste d’un « contrat » politique émanant du sommet de l’État ?

Une vengeance politique ?
En effet, la suite ne repose plus que sur la parole de Gustavo. Celui-ci rapporte les confidences du chef du commando, selon lequel l’ordre serait venu du responsable du Service d’action civique, Pierre Debizet. Ce responsable, après leur coup, aurait invité les tueurs dans son bureau pour les féliciter, leur assurer une totale impunité et leur faire savoir que les instructions venaient d’en haut, de Victor Chapot, conseiller spécial du Président Giscard d’Estaing. Ces deux responsables, Debizet et Chapot, ont disparu. « Encore une fois, il est trop facile de faire parler les morts », commente sobrement un journaliste[7. Agora Vox, 29 janvier 2010].

Sur l’implication de l’État, les propos évasifs de deux responsables de l’époque, Christian Bonnet, Ministre de l’intérieur, et Robert Pandraud, Directeur de la police, n’apportent rien de concret, et le documentaire s’efforce en vain d’en tirer des étais pour la version de l’assassinat politique.
La revendication du crime par un groupe « Honneur de la Police », qui a bouleversé l’opinion à l’époque, n’a jamais trouvé de confirmation dans les faits. On relira avec intérêt le récit, bref et clair, de l’enquête systématique menée par Marcel Leclerc, au lendemain de la mort tragique de Goldman, non seulement à l’intérieur des services de police, mais aussi des syndicats de policiers et des groupes parallèles. Ces investigations n’ont donné aucun résultat[8. Marcel Leclerc, op. cit.].

Le scénario basque
Vers la fin, les auteurs du film esquissent une thèse alternative : l’élimination de Goldman par les services secrets aurait été motivée par l’engagement de ce dernier dans l’aide aux séparatistes basques de l’E.T.A., réfugiés en France. Cette hypothèse coïncide mal avec les dires de Gustavo affirmant que l’ordre de tuer avait été donné un an auparavant, soit en août ou septembre 1978. À l’été 1978, en effet, Goldman fait un long voyage, à Caracas, où il retrouve ses compagnons préférés, et en Guadeloupe[9. Dollé, op. cit., ; cette information est recoupée par des informations prise à la source par l’auteur.]. Il bouillonne de projets, pense films, écriture. D’après des témoignages, ses contacts avec l’E.T.A. n’auraient débuté qu’à la mi-1979[10. Antoine Casubolo, La vie rêvée de Pierre Goldman, Editions Privé, 2005]. L’introduction tardive de la piste de l’E.T.A. marque donc une prise de distance de l’auteur vis-à-vis des déclarations du témoin central.

Barbouzes et truands face à la base arrière de l’E.T.A. Beaucoup plus intéressant, le scénario basque était déjà évoqué quelques jours après la mort de Goldman, dans les colonnes de Libération[11. Gilles Millet, Libération, 2 octobre 1979.]. Cette orientation est ensuite développée par Michaël Prazan[12. Michaël Prazan, Pierre Goldman, le frère de l’ombre, Le Seuil, 2004], reprenant le fil de trois enquêtes diligentées par le quotidien (notamment celle de Gilles Millet), et converge avec celle de Lucien Aimé-Blanc[13. Lucien Aimé-Blanc, L’indic et le commissaire, Plon, 2006 ; voir aussi le quotidien La Provence, 29 janvier 2010]. Pierre Goldman se serait fourvoyé, de façon brouillonne et bavarde, dans un complexe trafic d’armes mettant en présence des militants de l’E.T.A., retranchés sur le sol français, des réseaux de barbouzes espagnols y pourchassant ces derniers, des truands et des membres des services secrets français. On sait que des groupes clandestins ne peuvent opérer durablement dans leur pays sans une « base arrière » hors de leurs frontières. C’était le rôle de la France pour l’E.T.A., motivant du même coup des incursions des milices para-policières espagnoles pour saper ces appuis sur le territoire français. Tout ce monde, militants et barbouzes espagnols, déployé en terrain étranger, doit se trouver des soutiens et des pourvoyeurs d’armes. D’où la nécessité d’entrer en relation avec des réseaux mafieux (truands marseillais, notamment) et des services secrets français.

Deux thèses concurrentes, quant à l’implication de Pierre Goldman dans ces trafics et à sa suite fatale, sont proposées. Dans l’une, Goldman aurait pris des engagements pour des livraisons d’armes à l’E.T.A. et n’aurait pu les respecter. Dans l’autre, Goldman aurait découvert que les livraisons d’armes auxquelles il contribuait n’étaient pas destinées aux militants de l’E.T.A., mais aux groupes para-policiers espagnols qui les pourchassaient (les membres du G.A.L. ou leurs prédécesseurs). La pègre en effet, ne rechigne pas à vendre des armes des deux côtés. Pierre Goldman aurait alors exposé, avec véhémence, ses griefs à l’un des caïds. Ce genre d’éclat n’est pas très prisé dans le milieu. L’exécution aurait pu associer barbouzes et truands. Dans les deux cas, le motif de l’assassinat tiendrait du règlement de comptes, commandité par l’une des parties en présence, et non de la revanche politique.

Ces hypothèses ont leurs limites. Elles ne sont pas incompatibles avec la présence d’un Gustavo au moment de l’assassinat. On a aussi évoqué le rôle de Jean-Pierre Maïone-Libaude (tué en juin 1982), qui se serait vanté de son méfait, dans le commando de la place de l’abbé Georges-Hénocque, avec, en arrière-plan, ses contacts avec Lucien Aimé-Blanc, de l’antigang[14. Lucien Aimé-Blanc, op. cit.].

L’assassinat politique, un mythe salvateur
Fondé sur des bases aussi occultes que friables, le film ne convaincra que les quelques irréductibles de la version d’une vengeance politique. Les affaires de croyance, on prend en bloc ou on laisse. Le dogme Goldman, longtemps fondé sur une entreprise de confusion, repose, comme le rappelle Luc Rosenzweig, sur deux fondements, celui de l’innocence dans l’affaire des deux meurtres de Richard-Lenoir et celui de sa mort en martyr d’une revanche perpétrée par un groupe para-policier fasciste (15). Le premier pilier étant désormais mis à mal, une révélation relançant l’idée de l’assassinat politique permettrait opportunément de sauver une part du mythe.

L’auteur de ces lignes pour sa part préfère quitter le terrain des fables pour celui de l’investigation méthodique et du recoupement des sources, ce que le choix de la fiction, il espère l’avoir montré dans son livre, n’interdit nullement. Quant aux raisons et aux circonstances de l’assassinat de Pierre Goldman, l’enquête doit être poursuivie.

Élucider les deux affaires Pierre Goldman ne relève pas des débats rancis d’un autre d’âge. Le dogme entretenu autour du personnage a été mis en place, il y a trente ans, par quelques groupes. Ceux-ci voyaient dans le sauvetage d’un dernier symbole un enjeu essentiel dans la débâcle des idéologies révolutionnaires. Démystifier cette figure nous aide à élucider les constructions viciées qui perdurent aujourd’hui, autour de personnages qui se nomment, par exemple, Cesare Battisti, dont les assassinats crapuleux ont été soustraits à la justice de son pays par trop de complaisances et de mensonges de la part de responsables politiques, de ce côté-ci des Alpes.

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Dominique Perrut a publié, aux Editions Denoël, son troisième roman, Patria o muerte, qui retrace, dans une fiction autobiographique, une enquête sur les affaires Goldman.

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