Pierre Étaix aura donc accordé son dernier entretien à Causeur, paru dans notre numéro double de juillet-août (Pierre Etaix, le grand cirque de ma vie). À cette occasion, j’ai passé un après-midi mémorable dans la compagnie d’un homme, que j’admirais depuis l’enfance, lorsque m’était apparu sur l’écran d’un cinéma son visage très pâle, parfaitement découpé, d’une beauté étrange, entre Belle-Époque et futurisme.
Nous devions nous retrouver en automne, pour parler de ses projets. Le 14 octobre, il succombait à une embolie pulmonaire. Il allait avoir 88 ans. En Amérique, l’annonce de son décès a provoqué une vive émotion dans le milieu du cinéma : le « French slapstick director and actor » y était très estimé. Il est vrai que Pierre Étaix, à une époque où leurs noms et leurs films s’estompaient quelque peu dans la mémoire des américains, vantait le génie de Buster Keaton, de Charlie Chaplin, de Laurel et Hardy, de Harold Lloyd. Dans le même temps, il rappelait au souvenir des français leur talentueux compatriote, Max Linder.
Il était fêté, attendu aux quatre coins du monde. Malgré cela, aux louanges qu’on lui adressait, il opposait un scepticisme amusé : il jugeait avec une sévérité excessive chacun de ses films, et c’est avec la plus grande réserve qu’il consentait à trouver réussies une ou deux scènes… Sa modestie n’était pas feinte ; il portait en lui une sorte d’idéal artistique, qui l’entraînait à concevoir une inaccessible perfection. Illustrateur remarquable, dessinateur, peintre, musicien, scénariste, metteur en scène, comédien, dramaturge, écrivain, il plaçait au-dessus de tout l’art du clown.
Pierre Étaix, artisan raffiné, inventa un monde presque silencieux, paisible en apparence, mais rapidement menacé par des individus grotesques, agressifs, et par des objets d’apparence banale, qui refusent d’assumer la tâche à laquelle ils sont destinés.
Causeur salue Pierre Étaix, horloger ironique, enchanteur contrariant, artiste accompli.
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