Une circulaire doit permettre de sanctionner plus sévèrement les agresseurs de nos maires. Entretien avec Pierre-Emmanuel Bégny, auteur de Chers administrés, si vous saviez…
Pierre-Emmanuel Bégny a été maire de Sâacy-sur-Marne, petite commune de moins de 2 000 âmes située à 75 km de Paris, dans cette France périphérique traversée par des problématiques à la fois rurales et urbaines. Jeune élu en 2014, il a exercé son mandat du mieux qu’il pouvait. Il ne s’est pas représenté en 2020. Dans son livre Chers administrés, si vous saviez…, paru en janvier dernier, il expliquait les raisons de son engagement mais aussi celles qui lui ont fait raccrocher l’écharpe tricolore.
D’après les chiffres de l’AMF, 233 maires ont été agressés de janvier à juillet. Faites le compte, on est à plus d’une agression par jour !
Son récit s’ouvre sur une apostrophe blessante à son égard. Une de ses administrées l’insulte en pleine rue, alors qu’il doit faire face à une terrible inondation et qu’une coulée de boue menace de se déverser dans tout le village : « Tiens, regardez-moi cet imbécile ! Il ferait mieux de nous aider à éponger au lieu de se pavaner dans la rue. »
L’insulte exprime un mépris, mais aussi la colère d’une habitante qui écope sa maison inondée et rejette la faute sur le seul responsable à portée d’engueulade : le maire. Pour Bégny, cette insulte, c’est la goutte de trop… qui lui fait prendre conscience qu’il ne briguera pas un autre mandat. À l’heure où les agressions de maires – parfois d’une rare violence – ont émaillé l’actualité, Causeur a souhaité savoir ce que pense cet ancien élu local. À son tour, il pousse un coup de gueule.
Isabelle Marchandier. À l’issue de la réunion interministérielle organisée sur les violences contre les élus le 2 septembre, le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti a déclaré qu’un maire insulté est un maire outragé. Contrairement à la simple injure, qualification jusqu’alors retenue dans la plupart de ces affaires, celle d’outrage permettrait la mise en œuvre de travaux d’intérêts généraux… Le Ministre a déclaré : «c’est simple, c’est pragmatique, c’est efficace et ça va dans le bon sens». Cette réponse pénale est-elle à la hauteur de la recrudescence de la violence contre les élus locaux, selon vous ?
Pierre-Emmanuel Bégny. C’est la montagne qui a accouché d’une souris. Mettre autour de la table pendant toute une matinée le Garde des Sceaux, le ministre de l’Intérieur, la ministre de la Cohésion des territoires et le président de l’association des maires de France et annoncer tambour battant la requalification de l’injure en outrage, les bras m’en tombent !
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Franchement, j’attendais d’autres mesures pénales plus en rapport avec la réalité sur le terrain. La violence verbale ne va pas sans la violence physique. En général lorsqu’un maire est agressé c’est souvent une pluie d’insultes qui pourraient se terminer par un coup de poing. Cette mise en lumière des violences verbales par le gouvernement à l’issue de cette réunion, c’est pour mieux détourner l’attention des agressions physiques qui ont émaillé cet été 2020, et dont les auteurs n’ont eu comme simple peine, un rappel à la loi. Aujourd’hui, les maires sont pris pour cible comme la police. D’après les chiffres de l’AMF, 233 maires ont été agressés de janvier à juillet. Faites le compte, on est à plus d’une agression par jour. Il est temps de faire changer la peur de camp et ça passe par des condamnations judiciaires sévères.
Comment expliquez-vous cette violence contre les maires qui demeurent paradoxalement l’élu préféré des Français?
Les maires sont effectivement toujours plébiscités, sondage après sondage, par une très large majorité de Français. Dans un sondage d’Opinionway en octobre dernier, 78% des citoyens interrogés estimaient que ce sont les maires qui comprennent le mieux leurs préoccupations. Mais derrière ces chiffres, il y a la réalité du terrain beaucoup moins reluisante. Dans mon livre, j’explique que finalement les mairies sont devenues des bureaux des plaintes et que le maire concentre en sa personne tous les dysfonctionnements de sa commune. Hier, les rôles étaient mieux répartis. On allait voir le curé pour se confesser, le médecin pour se soigner et le maire pour régler des problèmes administratifs. Aujourd’hui, avec le déclin du catholicisme et nos déserts médicaux, le maire devient le dernier repère sociétal dans les territoires isolés. Il doit endosser toutes les casquettes qui étaient autrefois mieux réparties. Les maires qui ont été agressés cet été ne sont pas forcément des élus de villes de banlieues gangrénées par le trafic de drogue et le communautarisme rampant. Ce sont aussi des maires de petites communes situées dans des coins très reculés dont on ne parle jamais.
Le rapport du sénateur Philippe Bas sur les agressions des maires soulignait que le dépôt de plainte après une agression n’était pas automatique. Dans le questionnaire qui a servi de base à ce rapport, seulement 37% des édiles répondants avaient saisi la justice à la suite d’une attaque physique ou verbale. Comment expliquer ce non recours à la justice ?
Me concernant, j’ai porté plainte une fois après qu’un internaute m’a traité de « gros con de maire » sur les réseaux sociaux. Mais pour d’autres attaques, j’ai renoncé à porter plainte. Passer trois heures à attendre dans un commissariat que sa plainte soit enregistrée, c’est impossible lorsqu’on est maire en plein temps. Et puis il y a le découragement face à la défaillance de toute la chaine pénale, et l’augmentation des classements sans suite du Parquet. Au lieu de faire de beaux discours et des séminaires de rentrée, le gouvernement ferait mieux d’entamer un vrai travail pédagogique auprès des élus, pour les inciter à porter plainte systématiquement. Il faut faciliter l’accès au dépôt de plainte. Et mieux répertorier les maires victimes d’agressions. Pourquoi ne pas mettre en place un numéro vert dédié ?
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Les forces de l’ordre sont régulièrement prises à partie dans notre pays. Les chauffeurs de bus sont agressés, parfois de façon fatale comme on l’a vu à Bayonne. Les agressions contre les maires participent-elles de cet ensauvagement de la société dont on nous rebat les oreilles ?
Absolument. Mais, ça ne date pas d’hier non plus. Le phénomène ne fait que s’aggraver avec des jeunes de plus en plus violents. Le terme d’ensauvagement est, à mes yeux, correct car il décrit bien la réalité. Darmanin aurait peut-être du préciser que l’ensauvagement concerne certaines catégories de la population. Mais la gravité de la situation exige que les politiques dépassent les querelles sur le choix des mots et passent à l’action.
Qu’attendre alors de la circulaire qui sortira dans les prochains jours ?
On attend toujours l’application de la circulaire Belloubet de novembre 2019 qui demandait déjà une réponse pénale systématique aux violences contre les élus, trois mois après la mort du maire de Signes, renversé par une camionnette…. Le problème c’est que les magistrats s’essuient les pieds sur les circulaires. Indépendants, ils font ce qu’ils veulent. Il faudrait que le ministre de la Justice tape fort et réaffirme auprès du Parquet les sanctions prévues par le code pénal. Il faut aussi donner aux maires les moyens de réagir. La loi engagement et proximité leur a permis de mettre des amendes plus importantes aux auteurs de délits, mais si cette initiative n’est pas accompagnée de moyens coercitifs, elle ressemble à une matraque en mousse.
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