Pierre Desproges a disparu d’une manière inexplicable il y a un quart de siècle, nous laissant un héritage poétique et humoristique incomparable, fait de chroniques, d’articles, de textes de scènes, de programmes télévisés et d’émissions de radio : une somme que vient de rééditer le Seuil. L’occasion de faire un petit tour d’horizon de Desproges, de A à Z.
A. L’Aurore. René Goscinny n’aimait pas qu’on le qualifie d’humoriste. Pierre Desproges n’aimait pas qu’on fasse de lui un écrivain. Il confiait : « Tout ce que je fais passe par l’écriture. Écrivain c’est à la fois trop restrictif et trop pompeux. Je suis quelqu’un du verbe. Je préfère le mot « écriveur » ». Desproges commence dans l’écriture dans les années 70 en tant que journaliste, dans les colonnes du quotidien un brin réactionnaire, et aujourd’hui disparu, L’Aurore. Il s’adonne à l’ivresse des « actu générales » et se fâche au passage avec l’idole des jeunes de gauche, Jacques Mesrine, qu’il qualifie de « fanfaron suicidaire ». L’ennemi public n°1 lui répond par courrier : « J’ai connu beaucoup de clowns qui, s’amusant à mes dépens, ont fait leur dernier tour de piste ! » Peu après, le journal confie à Pierre la charge de brèves humoristiques.
B. Brassens. (Georges) Pierre Desproges a enregistré quelques disques méconnus, qui ont tous frôlé l’accident industriel. Depuis sa jeunesse il écrit des chansons, paroles et musiques, qu’il destine à ses amis et dulcinées. Il a un modèle – en musique, en humour et en poésie : Georges Brassens. Il voit surtout en lui un artiste qui ne s’est jamais compromis, ni auprès de son public, ni auprès de la profession. Brassens l’anar individualiste qui chantait « Je ne fais pourtant de tort à personne en suivant mon chemin de petit bonhomme… » ne pouvait qu’inspirer le misanthrope bougon des Chroniques de la haine ordinaire. Et puis – Ô miracle ! – un beau soir Brassens téléphone à Desproges pour lui dire tout le bien qu’il pense de son travail. Pierre bredouille : « Merci ».
C. Cyclopède. Avant que la télévision ne soit plate et insipide, il pouvait lui arriver d’avoir une certaine épaisseur. Au cours de son histoire certains ont même essayé de faire du « programme de télévision » une forme d’art. Pierre Desproges, est un de ceux là. Quand Serge Moati, à la tête de FR 3 depuis peu, propose à Pierre de rejoindre la chaîne publique au début des années 80, le sacripant développe un joyau comique… un programme court, centré sur le personnage de Cyclopède, savant bouffon, ayant réponse à tout, et un avis burlesque sur les problématiques les plus diverses… du type « Démoralisons une majorette », « Apprenons à faire décoller une alsacienne », « Dissolvons la monarchie absolue dans l’acide sulfurique » ou encore « Rentabilisons la minute de silence ». Réalisées par Jean-Louis Fournier, ces miniatures comiques, sobres et percutantes, sont – de l’avis même de Pierre – ce qu’il a fait de mieux ; et elles ont divisé la France en « imbéciles qui aiment et en imbéciles qui n’aiment pas ».
I. Icône. Il existe à Châlus, en Haute-Vienne, un collège qui porte le nom de Pierre Desproges. Normal, il vient de là… Mais il existe aussi des salles des fêtes à son nom, des théâtres, des rues, des contre-allées, des impasses… Une journée ne se passe pas sans qu’un pitre de télévision n’évoque son trop fameux aphorisme « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui… ». On lui dresse des statues médiatiques. Des mausolées de mots. On l’imagine – pardon, on le fantasme – en icône de l’antiracisme car on a le souvenir de sa prestation mordante de procureur de fantaisie au « Tribunal des flagrants délires » de France Inter face à l’invité Jean-Marie Le Pen, à l’orée des années 80. Il ne faudrait pas oublier que Pierre détestait toutes les formes de bêtise, en général… à commencer par cette tendance regrettable à créer des icônes.
P. Potache. Repéré par Jacques Martin alors qu’il s’épuisait chaque jour avec bonheur dans la presse quotidienne, Pierre Desproges a enfin l’occasion de faire ses premières armes à la télévision en 1976 dans « Le Petit Rapporteur » sur TF1. Espiègle, il assaisonne l’émission de séquences potaches et inexcusables, comme cette interview littéraire délirante de Françoise Sagan durant laquelle il lui montre une photo de son chien, et lui fait des compliments sur la texture de sa robe. Le meilleur rôle de Sagan. Subjuguée à jamais.
S. Scène. Sans son ami Guy Bedos, Pierre Desproges n’aurait certainement jamais franchi le pas du « one man show ». Certes, il avait déjà fait ponctuellement le pitre sur scène, notamment avec Thierry le Luron, mais il n’avait jamais affronté le public en solo. C’est fait en 1984 au Théâtre Fontaine, puis en 1986 au Théâtre Grévin. Pierre, malade, travaillait encore au seuil du grand saut sur un dernier spectacle dont le nom de code était « Ouanne manne chaud ». Un fragment de cette époque révèle un Desproges mélancolique : « J’aimerais tellement vous émouvoir… Qu’est-ce qu’il a de plus que moi, Paul Claudel ? » Parmi les petits trésors de cette production pour la scène on retiendra « Ondine » (1986), sketch – ou plutôt poème en prose – révélant toute la virtuosité de son langage. « Ondine ! On dine ! » Ha ha ha ! Toute la stand up comedy à la française n’a pu, et ne pourra jamais plus faire sans l’héritage scénique de Pierre…
V. Vialatte (Alexandre). Pierre Desproges adorait Alexandre Vialatte. L’inverse est moins vrai. Vialatte étant décédé en 1971, il n’a pas eu l’heur de découvrir à quel point son esprit poétique et fantaisiste avait pu inspirer avec bonheur son cadet. Plutôt précurseur, en un temps où la prose du divin auvergnat était encore assez confidentielle, Desproges n’a cessé de vanter celui qui pensait en paradoxes et cheminait en montagnard… « Je le répète une fois de plus à l’intention des étudiants en lettres qui commencent à savoir lire dès l’âge du permis de conduire, on peut très bien vivre sans la moindre espèce de culture. Si vous n’êtes pas capable de vous priver d’un seul épisode de Dallas pour lire un chapitre des chroniques d’Alexandre Vialatte, dites-vous bien que ça ne vous empêchera pas de mourir d’un cancer un jour ou l’autre. Et puis quoi, qu’importe la culture ? Quand il a écrit Hamlet, Molière avait-il lu Ronsard ? Non. » Vialatte, terminait avec malice chacune de ses chroniques de La Montagne – quel qu’en soit le sujet – par son légendaire « Et c’est ainsi que Allah est grand » ; Desproges finira chacune de ses chroniques de France Inter par « Quant à ces féroces soldats, je le dis, c’est pas pour cafter, mais y font rien qu’à mugir dans nos campagnes » Les mauvaises langues disent qu’il lui a tout pillé. Les vialattiens, eux, savent très bien que Desproges a surtout contribué à le faire connaître…
Z. Zut. Zut, Desproges est mort. Trop tôt.
Tout Desproges, Seuil, 2013.
*Photo : Monsieur Cyclopède.
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