Les bouquinistes ne seront finalement pas virés des quais de Seine durant les JO. Causeur peut donc continuer d’ouvrir leurs boîtes à vieux livres.
Monsieur Ladmiral va bientôt mourir est le dernier roman de Pierre Bost (1901-1975) – adapté au cinéma par Bertrand Tavernier. Son auteur, trop méconnu, laisse une œuvre rare, laquelle, à la suite de Proust, renouvelle le roman dit psychologique.
En 1939, Pierre Bost écrit à son frère qui est au front : « Je n’ai jamais écrit pour dire quelque chose. Je n’avais rien à dire. Ce qui m’a manqué en cette matière c’est d’être intelligent. Je l’ai toujours dit sans aucune espèce de trace de fausse modestie : je n’ai pas d’idées. Ou plutôt je n’ai pas ce qu’on appelle des pensées. » Cette dernière phrase est démentie par le roman ultime de son auteur, testament littéraire qui paraît six ans après la rédaction de cette lettre.
Monsieur Ladmiral est un peintre apprécié de 76 ans. Prix de Rome, membre de l’Institut, il « reconnaissait de bon cœur qu’il n’avait jamais eu de génie. » Le vieil homme veuf vit dans sa maison de campagne de Saint-Ange-des-Bois avec sa vieille bonne. Tous les dimanches, son fils Gonzague, sa belle-fille Marie-Thérèse et leur progéniture lui rendent indéfectiblement visite. Pour ce père, Gonzague est trop sage, trop lisse, trop raisonnable ; quant à Marie-Thérèse, fort pieuse, elle a « peut-être toutes les vertus, mais bien cachées ». Ladmiral, en vérité, reproche à son fils ce qu’il reproche à sa peinture et à lui-même : d’être académique. « J’ai eu un tort, disait-il, c’est de manquer de courage. J’ai peint comme on peignait en mon temps ; comme on m’avait appris à peindre. Je croyais à mes maîtres, on nous avait tellement seriné la tradition, les règles, les ancêtres, la fidélité, et que la vraie liberté suppose d’abord l’obéissance ; et que la vraie personnalité se trouve dans la discipline ; et tout le reste. Moi, j’y ai cru, je trouvais ça bien. Et puis, à mesure que j’apprenais, que j’imitais, que j’écoutais, comme j’étais très doué, le métier entrait, et je me suis aperçu un beau jour qu’il avait pris toute la place. Cette fameuse originalité, qui doit récompenser à la fin celui qui a su d’abord se plier aux règles, je ne la voyais toujours pas venir. J’étais tombé dans le piège, quoi ! Ou alors, je la voyais bien, l’originalité, mais chez les autres, et ça, c’était le plus décourageant. »
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Le livre bascule à l’arrivée impromptue d’Irène, la fille du peintre. Elle est belle, fantasque, insouciante, irrévérencieuse, brillante et moderne ! Irène, qui vient si peu voir son père, est le contraire de Gonzague. Ah, le contraste ! D’ailleurs elle n’aime pas la peinture de Ladmiral qu’elle trouve trop sage et elle le lui dit ; alors, quand la journée se termine, que le soir tombe, qu’elle repart pour Paris où l’attend son amant, le peintre revient à son ouvrage : « Il regardait ce coin d’atelier qu’il avait commencé à peindre depuis trois jours et cherchait des secrets dans le rouge d’un coussin, dans le pli d’une tenture, avec une envie si féroce de les découvrir qu’il se sentait toujours jeune, avec une certitude si totale et si amère de ne rien trouver qu’il se sentait très vieux ; plus que vieux, mort ; plus que mort : fini. »
Il est difficile de parler du charme de ce roman sans action, mais il persiste au-delà de sa lecture – et c’est ce qui en fait tout le prix.
Pierre Bost, Monsieur Ladmiral va bientôt mourir, Gallimard, 1945.