Pierre-André Taguieff publie Le Nouvel Opium des progressistes (Tract Gallimard, 2023). Il y rappelle que malgré l’affaire Bensoussan, le progressisme n’a jamais voulu voir la réalité de l’antisémitisme d’origine arabo-musulmane.
Avec une précision et une méticulosité d’horloger, Pierre-André Taguieff poursuit le travail d’analyse et de dévoilement qu’il avait commencé il y a plus trente ou quarante ans en histoire des idées politiques, celles qui ruinent la pensée : le racisme et ses métamorphoses d’abord, puis l’antisémitisme avec là aussi ses métamorphoses. Des Protocoles de Sages de Sion inventés par la police secrète du Tsar à la charte du Hamas, c’est un fil continu que déroule Taguieff. Il y tire, dans son dernier essai Le nouvel opium des progressistes (Tract Gallimard) sa dernière variante. Elle n’est pas triste, car, à défaut d’être grotesque, l’alliance actuelle du gauchisme (progressiste, forcément progressiste) avec l’islamisme signe une étrange défaite de la pensée dite de « gauche ». Les guillemets s’imposent tant cette qualification perd tout lien avec la pensée de ses origines. Jaurès, Blum, Mendès France doivent se retourner dans leurs tombes devant le constat de ce lamentable itinéraire. Auraient-ils fumé trop d’opium tous ces indignés, tous ses insoumis, ces intellectuels désormais entonnant en cœur des Allahou akbar révolutionnaires ? Cet essai tombe à point nommé, car les massacres du 7 octobre 2023, commis en Israël par le Hamas changent radicalement la donne. Il ne s’agit plus cette fois-ci d’élucubrations intellectuelles pensées dans un café enfumé rive gauche dans les années 70 à propos de la Longue marche d’un grand lider à Cuba ou à Pékin, il s’agit cette fois ci du soutien à un groupe fanatisé de tueurs sadiques supposés être des résistants du troisième type. C’est ce saut qualitatif du délire idéologique écrit dans le sang que Taguieff regarde de près.
Gauche en manque
Bien sûr, il y avait déjà eu le soutien (progressiste, forcément progressiste) à Pol Pot, de la part des éminents philosophes de la rue d’Ulm, la fascination énamourée de Garaudy pour Kadhafi, la mode du poncho guerillero accompagnant le poster du Che que tout étudiant soixante-huitard affichait dans sa chambre, ou bien les mille plateaux des Deleuze/Guatari ou étagères recouvertes d’opus déconstructifs de Derrida. Nous n’en sommes plus là. La découverte de tous les sentiers lumineux éclairant les goulags soviétiques ou chinois n’a pas suffi. Les horreurs de la pensée totalitaire continuent à séduire. Et les dernières en date portent le keffieh et les parfums de l’Orient compliqué. Elles sont désormais inspirées par la pensée progressiste (forcément progressiste) de l’islam. Depuis leurs tapis volants ses divers prédicateurs ont su toucher les catégories mentales d’une gauche en manque de radicalité. C’est tout de même en ayant toujours le souci des justes revendications des classes laborieuses que Judith Butler, grande leadeuse du féminisme « radical » aux Etats-Unis, estime que le Hamas et le Hezbollah sont des « mouvements d’émancipation sociale ». Ouf ! Badiou, Balibar et Rancière doivent être rassurés. Tant pis pour les féministes de Berkeley si Youssouf Al Qaradawi, grand prédicateur des Frères musulmans, expliquait doctement sur la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera, les divers modes de punition destinés aux femmes refusant de se soumettre aux désirs de leurs maris. Le petit lider insoumis Adrien Quatennens avait surement dû y trouver de judicieux conseils. Cette incartade n’a pas troublé Mathilde Panot, autre insoumise télévisuelle qui, soucieuse du mauvais sort fait aux femmes par le capitalisme, a bien compris que la mesure islamophobe interdisant le port de l’abaya à l’école masquait en fait la politique antisociale du gouvernement Macron. Tous les porte-paroles de la France insoumise ont intégré la lutte contre « l’islamophobie » dans leur panoplie argumentative. L’électorat des jeunes-issus-de-la-diversité mérite bien, sinon une messe, au moins quelques génuflexions.
Ainsi va le monde moderne et le dramatique moment présent n’est pas avare, hélas, de ces glissements qui petit à petit imposent dans le paysage culturel, idéologique et politique les formes les plus régressives de l’islam revu et corrigé par les Frères musulmans. Le progressisme n’a jamais voulu prendre en compte la réalité de l’antisémitisme d’origine arabo-musulmane. Bien au contraire, et l’invraisemblable procès contre Georges Bensoussan désigné comme coupable de racisme anti-musulman et dénoncé par le CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France, aujourd’hui dissous pour complicité avec les composantes islamo-terroristes) témoignait de cet aveuglement parce que contraire à tous les schémas prépensés de la bien-pensance progressiste. Ce procès fut exemplaire de la stratégie islamiste d’utiliser les moyens du droit mais encore du déni idéologique de cette réalité. La République faisait crédit à ses pires ennemis de vertus républicaines !
Nouveau paysage
Pierre-André Taguieff fait l’inventaire de cette histoire des myopies du progressisme et de ses divers épisodes dont la laïcité fait chaque jour les frais. Après avoir étudié toutes les formes du nouvel antisémitisme venu du propalestinisme dans « Prêcheurs de haine » (Mille et nuits, 2004) autant que ses usages politiques dans « Criminaliser les Juifs » (Hermann, 2020) et rappelé les anciennes alliances islamo-nazies sous la férule du grand mufti de Jérusalem Amin El Husseini et de ses ouailles fréristes, Hassan Al Bana et de son idéologue principal Sayyid Qutb, dans « Liaisons dangereuses (Hermann, 2021) jusqu’à la convergence islamo-gauchiste actuelle, Taguieff développe dans ce présent essai l’enjeu le plus immédiat, celui le plus grave dont témoigne l’actuelle guerre entre Israël et le Hamas. Dans leur vision aussi erronée qu’archaïque, les progressistes lisent le conflit israélo-palestinien à travers la grille de lecture de la guerre d’Algérie, celle du colonisé contre le colonisateur. Faisant fi de toutes composantes culturelles de la partie islamique, les progressistes ne peuvent rien comprendre à ce qui est en train de se jouer. Ils n’y comprennent rien parce que cet allié nouveau du wokisme décolonial (ici indigéniste) y a ajouté sa part de déconstructivisme importé des campus américains. Dans le paysage de faux semblants accélérés par les réseaux sociaux, le temps de l’histoire a disparu comme disparaît la complexité de l’histoire du Proche-Orient, celle d’Israël ou celle du sionisme. Les supposés progressistes ne veulent pas voir qu’Israël est la ligne de front contre le nouveau totalitarisme. Si la gauche croit retrouver un supplément d’âme à crier avec Mélenchon des « vive Gaza » place de la République, elle ne sait pas qu’elle sera la prochaine cible des égorgeurs du Hamas.
Lisez ce « Tract » de Taguieff. C’est une arme pour comprendre la menace islamiste, c’est aussi une arme contre la bêtise.
Pierre-André Taguieff, Le Nouvel Opium des progressistes. Antisionisme radical et islamo-palestinisme, Paris, Gallimard, coll. « Tracts », 2023, 64 p.
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