Cesare Pavese s’est suicidé en août 1950, à Turin. Auparavant, il a visité ses amis et les villes qu’il aimait. Dans Hotel Roma, Pierre Adrian parcourt à son tour cette Italie estivale en effleurant délicatement la noirceur de son modèle.
Ce n’est pas sans appréhension qu’on ouvre Hotel Roma, le nouveau livre de Pierre Adrian, consacré à Cesare Pavese. Comme si la tristesse de l’écrivain italien, sa noirceur, son pessimisme, son perpétuel état dépressif étaient susceptibles de nous contaminer. On a tôt fait d’être rassuré. Certes, le livre s’ouvre sur son suicide. Nous sommes en août 1950, le 27. Dans la chambre 49 de l’Hotel Roma, l’écrivain est découvert sans vie sur son lit. Sur le bureau, sept paquets de cigarettes, une dose mortelle de somnifères, un verre d’eau et un livre, Dialogues avec Leuco, sur la première page duquel il a écrit : « Je pardonne à tous et à tous je demande pardon. Ça va ? Pas trop de bavardages. » Deux mois plus tôt, l’auteur du Métier de vivre avait reçu le prestigieux prix Strega. Puis il était allé visiter des amis dans leurs lieux de villégiature. C’était l’été. Ces derniers étaient loin de se douter qu’ils ne le reverraient jamais.
Avant Cesare Pavese, Pierre Adrian a publié un livre sur Pier Paolo Pasolini, puis l’idée s’est imposée de partir sur les traces de l’auteur du Bel Été. Un voyage littéraire qui en cache un autre. Amoureux cette fois. C’est en effet à Turin, ville où Pavese s’est donné la mort, que Pierre Adrian retrouve celle qu’il appelle « la fille à la peau mate ». Elle est parisienne. Il vit à Rome. Turin abrite leur amour à mi-chemin. Ensemble ils sillonnent l’Italie à l’affût des adresses de l’écrivain. Santo Stefano Belbo où il vit le jour. Reggio de Calabre où il passa sept mois d’exil. Brancaleone où il écrivit Le Métier de vivre. Mais aussi ses restaurants, ses cafés, sa librairie. C’est toute la lumière et la douceur de l’Italie que l’auteur fait revivre en ces pages. Son amoureuse y est sensible comme lui et finit par partager sa passion pour Pavese. On ne choisit jamais un auteur par hasard. De même que son compagnonnage n’est jamais fortuit. « Piémontais ténébreux, dur, laconique, sentencieux, Pavese était l’ami cher qui glissait ses petites considérations l’air de rien comme des cailloux dans la chaussure. » Pierre Adrian se surprend, au fil des jours, à marcher comme lui. Un peu voûté, les mains croisées dans le dos. Mais ce n’est rien à côté de l’acteur italien Luigi Vannucchi, dont il rappelle qu’il avait lu et joué des textes de l’auteur de Travailler fatigue et poussé l’identification jusqu’à se suicider, comme lui, au cœur de l’été. On a dit de Pavese qu’il était laid, impuissant, complexé et misogyne. Une chose est sûre : les femmes furent le grand drame de sa vie. « Elles finissaient par le quitter parce qu’il les ennuyait avec ses livres et sa tristesse. Repoussé par lui-même, il en dégoûtait aussi les autres. » D’une empathie communicative, le livre de Pierre Adrian est écrit dans une langue magnifique. Aussi lumineux que mélancolique, il ne donne qu’une envie : lire et relire Pavese.
Pierre Adrian, Hôtel Roma, Gallimard, 2024.