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Pasolini, derniers temps

"Pétrole" (Éd. Gallimard, collection «L’Imaginaire»)


Pasolini, derniers temps
Pier Paolo Pasolini (1922-1975) © MARY EVANS/SIPA

Pétrole, le livre testamentaire et maudit de Pasolini ressort dans la collection « l’Imaginaire » de Gallimard…


Lorsqu’il est mort en 1975, assassiné sur une plage d’Ostie, près de Rome, Pier Paolo Pasolini travaillait depuis trois ans à la rédaction d’un roman extrêmement ambitieux, intitulé Pétrole. Malgré son inachèvement évident, le livre fut publié une première fois en Italie en 1992, et en 1995 en France, dans une traduction de René de Ceccatty. La critique ne reçut pas très favorablement ces quelque mille pages, plutôt désarçonnantes et au contenu audacieux. Et pourtant, comme le soutient René de Ceccatty dans la préface à cette nouvelle édition revue et corrigée, Pétrole éclairait en partie les causes de la mort de Pasolini, non pas seulement un « crime sexuel », mais le fruit d’un complot politique.

Lors de diverses enquêtes menées depuis, pour tenter de résoudre cette affaire, les policiers italiens « ont trouvé dans Pétrole, écrit René de Ceccatty, des éléments, selon eux, déterminants pour expliquer les circonstances ou plutôt les causes politiques de son assassinat ». C’est dire l’importance de ce roman dans le dévoilement de la vérité, et du reste personne ne s’y est trompé. Comme si, au centre même de Pétrole, se dissimulait l’énigme du destin de Pasolini.

L’agitation des années 70

Il faut donc se pencher sur ce gros volume, d’un abord il est vrai peu facile. Ce qu’on perçoit en premier lieu, c’est la volonté de Pasolini de faire une synthèse de la littérature de son temps. Nous sommes, rappelons-le, c’est essentiel, dans les années 70, période où les avant-gardes fleurissaient, comme Tel Quel en France. Tout un courant postmoderne s’était développé dans la littérature et les sciences humaines, qui semble avoir retenu l’attention de Pasolini. René de Ceccatty énumère les auteurs classiques qu’il prendra pour modèles, afin de s’en inspirer ou, plus directement, de les pasticher, quand ce n’est pas pour les recopier purement et simplement (comme avec Les Démons de Dostoïevski). On reconnaît, parmi les influences de Pasolini, l’Ulysse de Joyce, les Cantos de Pound, Tristram Shandy de Sterne ou encore La Tentation de saint Antoine de Flaubert. On pourrait encore mentionner La Divine Comédie de Dante, ou bien le marquis de Sade. On le voit, c’est un flux ininterrompu de grands auteurs, qui noierait le texte sans, à chaque fois, une note pour nous indiquer de quoi il s’agit.


Constatons à ce propos l’importance des notes, dans la lecture de Pétrole. Elles proviennent en grande partie des deux éditions italiennes, auxquelles René de Ceccatty a ajouté les siennes  pour sa traduction en français. Il est passionnant de poursuivre la lecture de ce roman grâce aux notes, qui ouvrent bien des portes sur le travail de Pasolini. Celui-ci ne lisait pas seulement Dante ou Sade, mais aussi les livres et la presse de son époque. On apprend ainsi, à l’occasion d’une expression particulière que Pasolini emploie dans Pétrole, qu’elle est « tirée d’un essai de l’ethnologue américain, spécialiste de l’Inde, David G. Mandelbaum (1911-1987) […] Pasolini possédait cet ouvrage et l’avait étudié attentivement… » Ce genre de précision mettra en joie le lecteur érudit et fétichiste, amoureux des livres. Je ne dis pas pour autant que les notes sont plus intéressantes que le texte de Pasolini, mais elles jouent un rôle prépondérant dans notre lecture.

Idéologie et illisibilité du récit

De son côté, Pasolini commente, dans le corps même de son roman, l’avancée de son récit. Il fait de nombreuses remarques sur ce qu’il est en train d’écrire, sur ce qu’il veut dire. Aurait-il laissé ces passages dans la version finale ? Difficile de trancher. Mais ces remarques intéressent néanmoins le lecteur, et, selon moi, il aurait été dommage de s’en priver. Pasolini précise par exemple, à propos de son récit, qu’il « appartient par sa nature à l’ordre de l’illisible », et que « sa lisibilité est donc artificielle : une deuxième nature non moins réelle, en tout cas, que la première ». Plus loin, il confie, de la même manière, que « la psychologie est remplacée par l’idéologie ». Cette réflexion est à souligner dans la mesure où elle caractérise les personnages que met en scène Pétrole. Le livre est censé raconter un assassinat réel (bizarre coïncidence, tout de même), celui de l’homme d’affaires Enrico Mattei. Mais Pasolini se concentre sur d’autres personnages tout à fait imaginaires, dont certains, livrés à eux-mêmes, se dédoublent. Ils ont signé un pacte avec le Diable, et leur vie est une descente aux enfers. La sexualité est chez eux une obsession malsaine, avec des fantasmes rudimentaires. On connaît la part centrale pour Pasolini de l’érotisme. René de Ceccatty souligne très bien que, dans ce dernier roman, de même que dans son film posthume, Salò ou Les 120 Journées de Sodome (1976), il y a un « revirement de Pasolini quant à son usage de la sexualité dans son art ». En clair : « Le sexe peu à peu devenait un ennemi, pour lui. »

Un livre à reprendre et à relire

Pétrole est certainement un de ces livres qu’il ne faut pas hésiter à reprendre. Sa lecture en est problématique, parfois. C’est un livre d’une grande ambition, dans lequel Pasolini essaie de mettre noir sur blanc des choses quasi incompréhensibles. Pour ma part, je ne me suis pas laissé intimider par ce monument, car Pasolini, intellectuel généreux, sait toujours rester un homme simple, avec un arrière-fond de sagesse évident. Il reste que, dans les années 70, ce n’était pas la sagesse qui comptait le plus. On pourrait se demander légitimement : « Et aujourd’hui ? »

Pier Paolo Pasolini, Pétrole. Édition revue et augmentée. Traduit de l’italien par René de Ceccatty. Préfaces de Bertrand Bonello et René de Ceccatty. Éd. Gallimard, collection « L’Imaginaire ».

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Jacques-Emile Miriel, critique littéraire, a collaboré au Magazine littéraire et au Dictionnaire des Auteurs et des Oeuvres des éditions Robert Laffont dans la collection "Bouquins".

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