La personnalité de Pialat, mort en 2003, n’était pas aimable. Mais on paraît rarement aimable quand on refuse absolument toute concession aux goûts et aux convenances de son époque. On se souvient, le plus souvent, en ce qui concerne Pialat, de sa magnifique réponse, aux sifflets des festivaliers cannois lorsqu’il reçut la Palme d’Or pour Sous le soleil de Satan : « Si vous ne m’aimez pas, sachez que je ne vous aime pas non plus ». Pialat a toujours fait partie de ceux, en effet, qui préféraient la colère à la peur, attitude qui paraît aujourd’hui plus que jamais comme profondément morale. Dans un monde placé sous le signe de la précarité et de l’oppression soft des politiques austéritaires présentées comme la seule alternative, si les gens se mettaient en rogne un peu plus souvent plutôt que de se confire dans la trouille aliénée de ceux qui croient encore avoir quelque chose à perdre, on aurait peut-être un paysage politique moins désespérant.
Pialat, qui a eu une enfance célinienne avec des parents ruinés et sa grand-mère qui l’a élevé, n’avait aucune raison de prendre des gants avec qui que ce soit. Et il ne les a pas pris, y compris dans ses amours. Son deuxième long métrage, Nous ne vieillirons pas ensemble (1972), décrit la décomposition d’un couple joué par Jean Yanne et Marlène Jobert. On raconte d’ailleurs que Jean Yanne qui se révèle là un acteur extraordinaire, a failli en venir aux mains avec Pialat lors du tournage. Il y a de quoi, pour ceux qui se souviennent du film. Il n’est pas facile de jouer un personnage odieux et malheureux à la fois, un mec abject avec une femme qui est sa maitresse et qui commence à l’aimer quand elle, elle se met à moins l’aimer. Si on se fie à l’intrigue, on pourrait croire à du Harlequin, avec le triangle amoureux classique. Mais comme le remarquait Fanny Ardant chez Truffaut dans La Femme d’a côté, ce sont les chansons d’amour à la radio, mêmes idiotes et sirupeuses, qui disent la vérité de l’amour. Et Pialat, le génie de Pialat avait été dans Nous ne vieillirons pas ensemble de transformer une situation convenue en chef d’œuvre.
Autre question, que se posèrent les spectateurs de Nous ne vieillirons pas ensemble : comment un film sentimental pouvait-il être aussi brutal ? La fin d’un amour aurait appelé plutôt à une forme de mélancolie élégante et non à ces répliques blessantes, ces paires de gifles, ce refus de l’attendrissement, cette psychologie au hachoir. On pourrait aller chercher une explication du côté d’une pudeur exacerbée ou d’une forme d’étrangeté à soi-même comme si précisément, on assistait à sa propre vie dans un film dont on ne serait même pas le metteur en scène.
Mais une réponse plus précise est sans doute à trouver dans le roman qui donna naissance au film et qui reparait aujourd’hui dans cette collection d’Archipel/Poche intelligemment consacrée à exhumer les romans oubliés qui furent à l’origine de films restés célèbres. Nous ne vieillirons pas ensemble est un roman qui paraît deux ans avant le film, chez un éditeur relativement obscur. Comme le signale l’ami Le Guern dans son intelligente préface, Pialat a déjà 45 ans quand il publie ce livre et sa carrière est au point mort puisqu’il reste confiné à la réalisation de documentaires sans pouvoir réaliser les films qu’il voudrait. Le lecteur découvrira un texte qui ressemble déjà au Pialat cinéaste. Sur une trame très proche du film, le narrateur Jean vit encore avec sa femme Françoise qu’il trompe depuis des années avec Colette. Tout le monde est au courant dans le trio et dans leur entourage. Ce qui frappe, c’est la sècheresse du roman, une sècheresse qui confine à la désorientation non seulement parce que le narrateur parle de lui comme d’un étranger, se décrivant de manière purement comportementale à la façon d’un polar. Littéralement, il ne sait pas qui il est, ce qu’il pense. Il se raccroche à des bars, des bistrots, des rendez-vous, des errances sur les routes françaises des années 70 entre l’Auvergne, la Côte Normande, la Camargue, Paris. On peut seulement arriver à deviner ce que les personnages ressentent dans les dialogues, et encore. Tous les bons cinéastes savent que les dialogues ne sont là que pour ajouter à la confusion, surtout quand ils sont parfaitement ciselés au point de paraître vraiment naturels, ce qui est le comble de l’art.
Nous ne vieillirons pas ensemble, le roman, est donc celui de personnages nus et opaques à la fois, surexposés et pourtant insaisissables. Et au bout du compte, humains, trop humains. On a là, du coup, une clé bouleversante pour comprendre un peu mieux le grand Maurice.
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