Le tranchant Thierry Marignac nous parle de sa bâtardise, dans une autobiographie âpre, sans concession, retraçant une jeunesse en marge. Elle sort aujourd’hui en librairie.
Ça secoue ! Les virages nous arrivent en pleine face ; on ressent les moindres soubresauts de l’existence, le route est fracassée, piégeuse, mal bitumée, parfois on atterrit dans un fossé glaiseux et, par miracle, le pilote, ici l’écrivain, s’en sort, il arrive à s’extraire de cette mélasse, de ce fatum mal fagoté, la combinaison en sueur et en sang, avec cette hargne de chien errant, perclus et étonnamment toujours vivant. J’aime la littérature radicale, jamais apaisée, qui refuse l’absolution, quand la lame du rasoir vient à bout touchant de la carotide, quand les mots cognent à l’estomac, quand le sans-grade met K.O le normalien, quand l’ex-camé joue avec les lignes, quand « mourir d’enfance » tient lieu de cap, d’horizon, d’orgueil et de stigmates. L’autobiographie est un genre casse-gueule par nature, soit elle se complait sous une vague victimaire et elle fait rire, soit elle mélancolise le passé et elle ment outrageusement.
Auteur de haute volée
Thierry Marignac a choisi une forme de vérité, de sincérité désarmante sans être larmoyante, d’uppercut sec, d’une sécheresse qui, au fil des pages, inonderait, abonderait et déploierait une cartographie de l’intime, avec ses plats et ses dénivelés, toutes les traces d’un chaos en marche. Elle s’étale là, devant nous, dans toute sa violence et ses manques, sans pudeur, ni volonté de choquer, juste décrire les mécanismes de la fuite. Il y a la mère, la tante, le faux-frère, les demi-sœurs, le père d’emprunt qu’on combat pour survivre et puis, cet homme au pardessus qui apparaît, empêtré et qui sait, peut-être heureux, sur une photographie en noir et blanc, portant un nouveau-né dans les bras, en contrebas d’un pont et d’un fleuve noir. Voilà, le géniteur anonyme ! Le bonheur, la rédemption, la componction, tout ce bric-à-brac foireux pour écrivains encartés ne font pas partie du vocabulaire d’un Marignac dissident, bagarreur, réfractaire à l’ordre bourgeois mais incroyablement clinique dans ses coups. À bonne hauteur. Ne se donnant jamais un rôle sur ou sous-dimensionné dans l’enchaînement des événements depuis cette année 1958. Avec ce punch très plaisant, qui, à défaut d’être salvateur pour l’auteur, donne un souffle et une tension à son récit. Une dramaturgie non feinte. Une aigreur qui suinte. Une exigence d’écrivain, en somme.
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L’écriture de Marignac est portée par un staccato raide en apparence, tranchant sans aucun doute, il préfère la ligne droite aux circonvolutions et, cependant son autobiographie fourmille de détails, de dérivés, d’embardées littéraires ou politiques, de digressions essentielles qui nous mettent en présence d’un auteur de haute volée. On voit traverser dans ce paysage brumeux, les cortèges de gilets jaunes, la figure d’Edouard Limonov ou celle de Jérôme Leroy. Marignac tente de démêler les fils, de trouver un semblant d’explication dans les faits, les silences, les gestes qui ont précédé et succédé sa naissance, dans un fatras de non-dits et de meurtrissures. « Quand j’entendis parler pour la première fois de ma bâtardise à 18 ans, je ne savais pas faire pleurer dans les chaumières, il n’était déjà plus temps d’apprendre » écrit-il, dès les premières pages de Photos passées, son récit autobiographique qui paraît aujourd’hui à La Manufacture de Livres. Les fans du polardeux visionnaire et tempétueux, du traducteur délicat, du voyageur sans bagages, qui a un don certain pour les langues étrangères et les vérités cachées, doivent prendre la route avec lui. Le chemin n’est pas de tout repos.
Pas là pour nous instruire
À la fin, vous ne trouverez ni morale, ni génuflexion, encore moins d’accommodements mal taillés, vous aurez seulement navigué en littérature. Ce n’est pas si courant de nos jours, faire de sa vie, une œuvre ; de ses démons, non pas un exutoire pathétique plutôt un récit aux accents tantôt russes, tantôt new-yorkais, dans le Paris cramé des années 1980 et les coulisses de la presse écrite.
Chez Marignac, la quête d’identité n’a pas vocation à être didactique, à instruire le chaland, à lui donner des pistes, des raisons même infimes de continuer ou d’espérer, l’écrivain nous épargne les fadaises des résilients. J’en reviens à ma métaphore automobile du début, en fait, avec Marignac vous n’embarquez pas à bord d’un coupé Bentley suave et protecteur, vous grimpez plutôt dans une spartiate Lotus Super Seven au ras du sol, ferme et directe, celle-là même que conduisait Patrick McGoohan dans la série « Le Prisonnier », vous êtes le Numéro 6. Et puis, vous absorbez les déboires et les succès d’un pigiste dans un monde jadis bipolaire et plus tard, les affres d’un écrivain dans une mondialisation sauvage. « J’ai toujours voulu écrire, même aux moments les plus glauques du nomadisme camé », avoue-t-il. En bouche, il vous reste le goût de ses saillies : « Notre dégoût, notre mépris de petits frères devant la morgue péremptoire des révolutionnaires d’hier, aujourd’hui dans le camp des nantis et des gestionnaires, était sans mesure », et cette photo sur la couverture du livre qui fige le temps.
Photos passées de Thierry Marignac – La Manufacture de Livres
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