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Le beau roman de Vilain

"Un matin d’hiver" est élégant et bouleversant


Le beau roman de Vilain
Philippe Vilain. Crédit : Jean-François Paganelli pour Grasset.

 


Le dernier roman de Philippe Vilain, Un matin d’hiver (Grasset), raconte la disparition inexpliquée d’un homme et comment une femme tente d’y survivre. Élégant et discrètement bouleversant.


Le charme qui se dégage du dernier roman de Philippe Vilain, Un matin d’hiver, doit tout à une voix de femme. Il y a quelque chose de toujours un peu mystérieux, presque de magique chez les bons écrivains dans leur manière de savoir s’effacer pour mieux laisser une narratrice prendre en charge un récit. Un récit où elle dira une vérité intime qui joue sur toute la gamme des émotions, même les plus indicibles. Car Un matin d’hiver, derrière sa brièveté, son ton égal, son art de la nuance est un roman sur l’indicible. Celui d’une disparition. Pas la disparition qu’on utilise comme euphémisme pour la mort, pas non plus la disparition de celui qui a été victime d’une catastrophe et dont on aurait pas retrouvé le corps. Non, une disparition qui s’apparenterait plutôt à une éclipse, une évaporation. Chaque année dans les pays industrialisés, des gens se retrouvent ainsi aux abonnés absents, ne sont plus visibles sur les réseaux sociaux, les caméras de surveillance, les fichiers administratifs dont notre époque est si friande dans son souci de contrôle panoptique total.

Le bonheur, c’est mieux que la passion

La femme en question est une universitaire. Elle enseigne la littérature à Jussieu. Un jour, elle tombe amoureuse de Dan,  un Américain, qui lui enseigne la sociologie dans la même fac. Elle vient de Poitiers, il vient d’Atlanta. Paris est un accident heureux dans leur vie. Assez vite, ils vivent ensemble, assez vite, ils ont une fille, Mary. Tout va pour le mieux pour ce jeune couple d’intellectuels. On n’est pas sûr qu’il s’agisse de passion mais du bonheur, certainement. C’est peut-être mieux, même si la narratrice a pu parfois en douter : « Et je me sens parfois honteuse de penser que ce bonheur me semblait parfois monotone, que, sans me l’avouer encore, j’avais le sentiment d’entrer dans sa nuit effrayante. On ne devrait pas penser cela d’une chose aussi précieuse que l’amour conjugal, et encore moins le dire, mais je ne fais là que retranscrire ce que j’éprouvais alors : un vague sentiment de monotonie, qui n’était en rien une diminution de mon amour pour Dan, non de cela je suis sûre, plutôt le regret de notre éloignement physique. Nous ne faisions presque plus l’amour. » Ainsi vont les destinées sentimentales, Chardonne n’est pas loin, avec sa résignation heureuse.

Dan a disparu

Mais voilà que Dan, qui étudiait, lors de fréquents voyages, les milieux de la drogue dans les bas quartiers d’Atlanta, ne donne plus signe de vie. La narratrice, après une série d’enquêtes menées avec les parents de Dan, après de multiples entretiens avec des diplomates ou des chefs de la police, doit se résoudre à l’impensable. Dan a disparu. On peut chercher dans toutes les directions, on peut imaginer tous les mobiles, échafauder toutes les hypothèses, on se heurte à cette évidence : Dan n’est plus là, Dan ne revient pas.

La partie la plus intéressante du roman est sans doute, une fois la disparition constatée, admise à défaut d’être acceptée, les années qui vont ensuite se succéder. On peut pleurer un mort mais comment s’y prend-on avec un absent ? « On dit que les absents ont tort mais ils ont raison ; leur absence est une ruse pour occuper le temps de ceux qui restent. Disparu, Dan ne nous avait pourtant pas disparu. , il ne nous avait pas quittés, il était là, bien là, il continuait de recevoir du courrier, des factures, des lettres de relance, des ultimatums. Les disparus ne quittent pas nos vies, ils l’envahissent par leur absence. »

Vivre en pointillés

Cette vie entre parenthèses, ces points de suspension qui sont la nouvelle ponctuation du temps qui passe, pourraient ressembler à l’enfer. Mais on finit par s’y habituer, on fait d’abord semblant de ne plus espérer, on parvient même à donner l’impression d’une certaine sérénité retrouvée, à la longue. Il n’en est rien, évidemment mais chez Philippe Vilain, il faut savoir lire entre les lignes, pour saisir la météorologie intime de cette narratrice qui ne pleure pas, ne crie pas mais n’en vit pas moins désormais une vie en pointillé.

Elle donne d’ailleurs, cette femme, une remarquable définition de la littérature, au début du roman et il se trouve que cette définition convient aussi celle de sa vie sans Dan : « Si je devais  donner une image, je dirais que la littérature est un peu comme l’inspecteur Colombo lorsque l’enquête semble lui échapper et qu’il finit par revenir vers le présumé coupable pour lui dire : « Encore une petite question ! » C’est cela qu’est pour moi la littérature, une petite question, encore une petite question. »

Un matin d’hiver, Philippe Vilain (Grasset)

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