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Sollers, voyant

Philippe Sollers avait tout vu venir avec son roman "Femmes" en 1985


Sollers, voyant
© Hannah Assouline

Une bougie de plus pour Philippe Sollers. Pascal Louvrier se souvient de l’auteur de Femmes, roman prophétique.


28 novembre, malgré le froid et la grisaille, je pense à Sollers comme si c’était un soleil au-dessus de nos têtes devenues molles. C’est le jour de son anniversaire. Je me souviens, en 1982, nous étions sur le bac entre l’île de Ré et le continent. Sollers, pantalon blanc et chemise bleue, avait dans son sac le manuscrit de Femmes. Il avait allumé une cigarette de sa main baguée, bagues différentes de celles qu’il porte aujourd’hui, et m’avait dit: « C’est une bombe portative. » C’était la fin de l’été, ou pas loin. Il changeait en plus d’éditeur. Adieu Le Seuil, vive Gallimard, « la banque centrale ».

Déclaration de guerre au féminisme

Femmes, c’est son chef-d’œuvre. Description de notre époque, celle où l’on est attaqué de toutes parts, c’est-à-dire les hommes qui fréquentent les chemins de traverse, les rizières du non-conformisme. Femmes, en avance de plus de trente ans. Désormais le cauchemar est quotidien, les caméras tournent en permanence, les images circulent à la vitesse de l’éclair, les réseaux sociaux condamnent plus vite que Robespierre et ses idéologues zélés. La moraline est partout, les stocks sont illimités. L’hystérie collective est aux commandes, partout. Les artistes sont réduits au silence par les terroristes de l’horizontalité.

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Les romans « poubelle » sont en pile. Les fausses valeurs ont leurs perroquets lobotomisés. Femmes, c’est une déclaration de guerre au féminisme. Car Sollers, dans un style elliptique, avec des phrases torsadées comme une statue du Bernin, attaque direct: « Le monde appartient aux femmes. C’est-à-dire à la mort. Là-dessus, tout le monde ment. » La grande affaire des femmes, c’est l’enfant. Avoir un enfant. « Négation radicale du sexe », donc. Car ce qui compte, c’est la vie qu’elle donne et qu’elle doit protéger. L’homme, à leurs yeux, n’en est pas capable. Il convient donc de le supprimer. De supprimer précisément le père.

Nous y sommes. La guerre fait rage. Lisez les journaux, regardez les chaines d’info. L’étau se resserre. L’hallali est proche, dans la désillusion générale programmée. Pour résister, c’est devenu presque impossible, il convient de ne plus rien attendre des femmes, rien. Il faut aimer « manger seul au restaurant », aimer « rester seul trois jours sans adresser la parole à personne ». Sollers, en 1982 : « J’aime sentir le temps passer pour rien, n’importe où, dormir, dépenser le temps, me sentir le temps lui-même courant à sa perte. » Ajoutons une absence totale de culpabilité. Et enfin préserver son enfance. Sollers: « Je veux tout… L’enfance… La gloutonnerie, les grandes vacances permanentes… » Femmes, à (re)lire d’urgence. On vous aura prévenus.

L’auteur de cet article, Pascal Louvrier, a écrit Sollers mode d’emploi, aux éditions du Rocher.

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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