Dans son nouvel essai, notre collaborateur distille de précieux « conseils de lecture » pour aborder l’écrivain Philippe Sollers, disparu l’an dernier.
Le dernier essai de Pascal Louvrier (Le Passeur éditeur, 2024) annonce : « Philippe Sollers entre les lignes ! » Il est déjà assez difficile de lire les lignes tracées par Sollers qui réclament souvent une relecture pour imaginer que l’on puisse se retrouver facilement entre elles ! Mais Pascal Louvrier tient le pari et son essai atteint le but : Philippe Sollers n’est appréciable que si l’on parvient à lire entre les lignes !
Pour obtenir ce résultat, l’auteur démarre pieds au plancher : « La voiture glisse sur le bitume de l’autoroute. Trajectoire impeccable. Les kilomètres défilent invisibles dans la nuit violée par les phares. Le compte-tours devient la trotteuse de la montre. Le pied droit enfonce, jusqu’au tapis de sol, la pédale d’accélérateur, celle pour se tuer. Les limites sont dépassées ! » On dirait le début d’un roman d’action dans lequel le héros va frôler la mort, emporté par des évènements maléfiques. Il faut que la voiture atteigne Bordeaux pour que le lecteur comprenne qu’il s’agit bien d’une biographie et non d’une « auto biographie ». Tout simplement parce que Philippe Sollers est Bordelais d’origine.
Une course de 87 ans
Ne croyez pas que l’ouvrage va se mettre à freiner quand il arrive au but. Pas du tout. Il est vrai que pour suivre Philippe Sollers dans sa vie et dans son œuvre, il vaut mieux une Formule 1 qu’un fauteuil et une table, outils connus des biographes classiques !
Pascal Louvrier pilote parfaitement son bolide dans un style à la fois offensif dans les virages et amusé dans les lignes droites, au demeurant assez rares. Cela donne un livre vivant, bondissant et même bienveillant malgré les outrances, les provocations, les emportements, les vrais et faux reniements et les désertions imprévues de Philippe Sollers, lui-même, dont la vie et l’œuvre sont intimement mêlées aux évolutions et convulsions de la France d’après-guerre jusqu’au 21ème siècle. La quatrième de couverture donne la clé de cette œuvre insolite et attachante : « En 1996, Pascal Louvrier écrit un essai enlevé sur Philippe Sollers. Le sulfureux écrivain joue le jeu et lui ouvre les portes de sa vie privée. Leur complicité, singulière à plus d’un titre est exceptionnelle. »
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Quand la voiture des premières lignes atteint Bordeaux, avec Pascal Louvrier au volant, l’écrivain Sollers embarque aussitôt et le bolide ne s’arrêtera qu’en 2023, dans le cimetière de l’île de Ré, où se trouve la tombe de Philippe Joyaux, devenu Sollers pour les lettres. Soit 87 ans d’un parcours mouvementé que Pascal Louvrier reconstitue tantôt en spectateur tantôt en copilote.
Fouetter la syntaxe
Les deux hommes ne seront pas toujours en voiture, rassurez-vous, ils prendront le train, ils prendront des vacances, ils feront des voyages à l’étranger. Ils publieront des romans, des nouvelles, des revues. Ils prendront position politiquement, littérairement, philosophiquement, socialement, sexuellement. Mais enfin il s’agit de la bio de Philippe Sollers ou des souvenirs de Pascal Louvrier ? Mon Dieu, il s’agit bien des deux. Seulement, c’est écrit avec tellement d’adresse, que les écrits de Sollers en sont éclairés mieux même décryptés non par le raisonnement mais simplement par la réalité vécue. Un exemple :
« Je grimpe dans ce train qui va traverser 1966. Période qui sent la moisissure. Les règlements de comptes de la deuxième guerre mondiale continuent. Des cadavres dans tous les placards. Les Français viennent d’élire De Gaulle mais la gauche a une nouvelle figure emblématique François Mitterrand. La majorité du comité de rédaction de « TEL QUEL» est d’accord sur un point : il est nécessaire de politiser la revue. Mais des personnalités proposent une ouverture en direction du PCF tandis que d’autres souhaitent un ralliement immédiat au maoïsme. »
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Bon c’était des débats d’époque, où est notre sujet ? Il n’est pas loin : la revue TEL QUEL a été fondée par Philippe Sollers. Et celui-ci penche pour Mao. Du coup, les communistes vont le critiquer vertement. Sauf que Pascal Louvrier qui est dans le train de cette époque nous explique la position « maoïste » de Sollers par le fait que l’apprentissage du chinois lui permet de poursuivre son ambitieux projet : créer un langage nouveau qui favoriserait la rapidité de compréhension tout en multipliant les sens connotés.
Et pour être plus clair, cette profession de foi littéraire : « fouetter la syntaxe, la malaxer, la pincer, la pétrir. Et puis pratiquer l’uppercut verbal. Le mot doit cogner, la formule claquer comme le drapeau au vent. Et puis, dégraissage du style, dégraissage du style. De l’ellipse, du nerf, du raccourci, du rythme, de la vitesse, de la métaphore syncopée, directe, droit au but, neurones, viscères, palpitant, tout ça en même temps ! »
Ces mots vous l’avez compris ne sont pas de Sollers mais de Louvrier. Ils éclairent crûment ce que se proposait Sollers lorsqu’on l’accusait de « maoïsme » : un nouvel art poétique et non un nouveau régime ! « Deux précurseurs en ce domaine, nous révèle Louvrier, Rabelais et Céline ! » Entre la vitesse du parcours et la révélation de la réalité « sollersienne », Pascal Louvrier nous offre une étude inédite dans un style de bande dessinée. Il n’y a pas de temps mort. Les scènes succèdent aux scènes. Les actions aux actions. Si pour Sollers, la littérature, c’est avant tout de la musique (on est loin du PCF !), pour Louvrier une biographie c’est une cascade d’images, un film d’aventures.
Et le résultat est atteint : le livre de Pascal Louvrier se lit à toute allure et quand on le ferme, on se dit : « Voyons donc ces lignes de Sollers, elles ont l’air bien croustillantes. »
Car, Philippe Sollers a fondé une revue certes en compagnie de Jean-Edern Hallier, au début (tiens, tiens !), mais il a écrit des romans, dont « Femmes », particulièrement osés parfois (à lire à l’époque du féminisme enragé !), il a aimé Casanova, il a adoré Mozart, et il a vécu le plus longtemps possible à Venise, pour admirer ses peintres et ses palais, y abriter ses amours dès que les touristes, « ces asticots dans un fruit trop sucré », disparaissaient. Ce qui lui a permis de publier deux « Dictionnaires amoureux de Venise » qui perpétuent le voyage à Venise que tout un chacun se doit d’entreprendre dans sa vie.
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