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Philippe Monguillot: quand la méticulosité juridique devient le cache-misère du renoncement

Deux accusés encourent la réclusion criminelle à perpétuité, mais il n'est pas certain que le tribunal soit aussi sévère


Philippe Monguillot: quand la méticulosité juridique devient le cache-misère du renoncement
La famille Monguillot, Bayonne, 8 juillet 2020 © Bob Edme/AP/SIPA

Le procès des agresseurs du chauffeur de bus de Bayonne, décédé le 5 juillet 2020, s’est ouvert devant la cour d’assises de Pau. Les accusés, Wyssem Manai et Maxime Guyennon, sont poursuivis pour « coups et blessures volontaires » ayant entrainé la mort sans intention de la donner. Lundi, les images choquantes de l’altercation entre le chauffeur et les voyous ont été montrées au tribunal. « Ils étaient inarrêtables, bourrés d’adrénaline » a raconté hier Félix, témoin de la scène barbare.


À l’heure de l’ouverture du procès des agresseurs de Philippe Monguillot, le chauffeur de bus décédé sous les coups de ses agresseurs à qui il avait demandé leurs titres de transport, la requalification par le juge d’instruction des termes de la poursuite interroge sur la capacité du système judiciaire à traiter la criminalité dans ses nouvelles modalités et à se déprendre de sa bien-pensance. Péguy exhortait notamment les intellectuels à voir ce qu’ils voyaient pour accomplir leur tâche (« Il faut toujours dire ce que l’on voit ; surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit »). Si les juristes étaient des intellectuels, cela se saurait. Jamais, dit-on, selon le mot de Giraudoux, poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité.

On oppose notre subtilité et notre méticulosité à la barbarie et à l’ensauvagement

Le système judiciaire, et tout particulièrement le système pénal, est depuis quelques années en proie à un drôle de mal ; quelques affaires médiatiques suggèrent que celui-ci ne semble plus tant attaché à traduire en infractions pénales la violence spécifique qui ébranle la société qu’à la défendre, prétendument, en technicisant à outrance les affaires qui lui sont soumises. Ne lui en déplaise, le code pénal, rédigé en langue française, n’est pas rempli que de concepts abstraits qui échapperaient au pauvre sens commun du citoyen. Mais Alain Finkielkraut nous avait prévenus, citant cette phrase de Saul Bellow : « Une grande quantité d’intelligence peut être investie dans l’ignorance lorsque le besoin d’illusion est profond. »

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Ainsi, le juge pénal fait-il, dans certaines affaires, preuve d’une méticulosité toute particulière lorsqu’il s’agit de qualifier les faits en vue des poursuites ou des condamnations. C’est à croire que plus le crime est horrible, plus il faudrait juridiquement faire croire aux citoyens qu’ils n’ont pas vu ce qu’ils ont vu.

Dans l’affaire de l’assassinat de Sarah Halimi : évidence du caractère antisémite du crime, subtilité de l’usage de l’irresponsabilité pour consommation de stupéfiants. Dans l’affaire de la mort de Philippe Monguillot : évidence de la sauvagerie devenue ordinaire de barbares du quotidien, subtilité de l’absence d’intention de donner la mort[1]. C’est à croire que le juge pénal ne se targue plus tant de protéger sans scrupule ses concitoyens d’une violence elle-même aveugle que de parler un langage qu’il ne comprend que lui-même. Comprenez : il est bien plus « convenable » de ne pas se passionner pour ces sujets-là… ce qui sous-entend largement qu’ils sont des sujets à part entière et qu’il y aurait un motif pour s’en passionner !

Petits caïds…

Avant, on exposait sans vergogne le crime qui se cachait. Aujourd’hui, on dénonce timidement des faits de haine plus grossiers que ce que nos infractions pénales prévoient. Les crimes à caractère raciaux sont bien largement vilipendés mais les atteintes ignobles et sauvages au vivre-ensemble sont traitées comme de vulgaires agissements de petits caïds, éternellement petits semble-t-il. Voire pire, comme des trésors d’archéologie juridique ; une occasion en or de se torturer les méninges sur l’autel d’une idée d’Albert Camus émise lors de l’épuration d’après-guerre, noble en son temps mais irriguant encore de la mauvaise façon le quotidien de la justice pénale, selon laquelle on ne s’abaisse pas au niveau de son bourreau et on lui offre une justice digne d’un État de droit.

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Ces pudibonderies judiciaires ne cachent que mal la reconnaissance tacite du caractère particulier de certains crimes et la construction d’une justice d’exception, pour le coup, marquée par un important « deux poids, deux mesures ». La condamnation exemplaire et la poursuite exemplaire n’ont pas encore pointé le bout de leur nez. À la place, la France, qu’on dit cartésienne[2], se paie de mots. 


[1] Tels sont les termes de la décision définitive du juge d’instruction.

[2] Emprunt à Michel Onfray.



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Élève-avocat, étudiant à Paris I Panthéon-Sorbonne.

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