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Philippe Martinez : Sonate d’automne

La Plume au vent.


Philippe Martinez : Sonate d’automne
Philippe Martinez lors d'une manifestation à Paris, le 27 octobre 2022. MUSTAFA SEVGI/SIPA 01092560_000008

Ce qui agace, c’est qu’il semble toujours nous dire : « Je vous emmerde tous » ! Est-ce un rêveur ou un cynique ? À l’entendre, le patron de la CGT ne fait que traduire la colère des salariés, mais il tremble devant sa base – une infime minorité de grévistes !


On dirait qu’il revit.

De son bureau à Montreuil, le secrétaire général de la CGT (depuis février 2015) jouit d’une vue imprenable sur l’état délabré de la France auquel il contribue modestement. Devant la pénurie de carburant, tandis que les Français grognent et que Mélenchon s’égosille, Philippe Martinez, 61 ans, est resté calme, froid, buté – insensible à la panique bassement consumériste que ce petit désagrément provoque.

Comme il rumine, on croit qu’il pense – ou qu’il dort. Non, il remâche. Et il accuse. C’est un brutal avec, sous sa bonhomie apparente, cette note de méchanceté dont la politique fait spectacle et dont les vieux militants raffolent. Depuis le congrès de Tours, en 1920, c’est affaire de doctrine. On ne peut pas être à la fois gentil et intransigeant, hein !

Ni bêtement franc, ni franchement bête, cet ancien métallo n’est pas une belle âme, encore moins un intellectuel – il s’en vante. Il n’est pas si dogmatique : il préfère de loin les sensations aux idées. Encore aujourd’hui, il rougirait de désespérer Billancourt, ce serait renier sa jeunesse – un si vieux songe ! Entre la carotte et le bâton, il choisit… le gourdin, plus sûr et plus efficace par ces temps incertains.

Soleil

On sait que cet ancien employé de Renault – technicien et non pas ouvrier, s’il vous plaît – a grandi à Rueil dans une cité au pied du mont Valérien et qu’il a été membre du PCF jusqu’en 2002. Il est fan de foot et supporter du FC Barcelone – primauté du collectif, éloge du mouvement, vitesse d’exécution, ce qui n’exclut pas l’instinct, la grâce, la fulgurance. Est-ce aussi une tactique syndicale ?… Et si son modèle, c’était Andrés Iniesta, le lutin du Barça, plutôt que Benoît Frachon ou Georges Séguy ?

Dans son entourage, on admire ses colères feintes sur le mode « retenez-moi, les gars, ou je fais un malheur ! », mais elles ne trompent personne. Puisqu’il est Bélier – il est né un 1er avril, c’est un signe ! –, il a les défauts d’un chef : il râle, il fulmine, et si on lui résiste, il devient sourd, il roule des yeux furibonds, il tire sur sa moustache en croc qui le fait ressembler au beauf de Cabu, puis il charge en fermant les yeux.

Un mouton enragé ?

Depuis toujours Martinez spécule sur la conflictualité, qualité française, sauf que, cette fois, il n’est que l’ambassadeur des litiges, un supplétif de la colère, presque un spectateur de la lutte, ce n’est pas lui qui a allumé la mèche, et ce n’est pas lui qui mène le bal. Son pouvoir est absolu – mais faible, comme celui du président de la République.

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Quand on s’étonne qu’une poignée de grévistes (91 salariés sur 2 500) puisse bloquer le pays, il bâille dans un bref accès de mélancolie. Il compatit au déplaisir des automobilistes. Il ne va pas jusqu’à encourager la trottinette – à bas les bobos ! Il plaide devant une journaliste de RTL : « Ce n’est pas ma faute, madame, les grévistes ne font que ce qu’ils veulent ! » Puis il murmure : « Je suis un démocrate, moi ! »

Ha ! Ha !

Vous ne comprenez rien… Quand les patrons ne veulent que surseoir sans fin au partage des bénéfices, on a un devoir de violence, non ? Même Darmanin est d’accord ! On nous répète : « Taxer plus, c’est produire moins », c’est quoi, ces foutaises ! Vous savez combien de millions gagne Patrick Pouyanné, le PDG de Total, quand le montant actuel du Smic net est de 1 329,05 euros ! Les capitalistes vendront jusqu’à la corde qui servira à les pendre ! Quand Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, fait l’idiot et soupire : « Un superprofit, je ne sais pas ce que c’est ! », Martinez rigole – et l’on rigole avec lui.

N’a-t-il pas raison ?

Il ne cède ni à l’incantation, ni au pathos – il y a assez d’énergumènes à la Nupes, ça suffit comme ça ! Quand il argumente, il revendique, et il savoure sa mauvaise foi comme un alcool qui le réchauffe, mais son phrasé robuste fait mouche. La convergence des luttes sous la bannière de la CGT et sous l’égide de sa personne, hé ! hé ! il n’est pas contre. L’union sacrée des tribus gauloises autour de Vercingétorix, vous imaginez, ce serait encore plus beau que le Front populaire ! Reste que sa priorité, ce sont : les salaires – d’abord les salaires, bon sang !

A-t-il tort ?

Sans doute est-il encore plus rêveur que cynique. N’est-il pas un peu las de s’opposer sans jamais rien obtenir ? Capitaine des mécontents, dur métier ! Il faut se défendre de l’intérieur contre ceux qui vous jugent trop mou, ceux qui vous jugent trop dur, ceux qui veulent votre place, sans parler de ceux qui vous accusent d’être moins un stratège qu’un satrape et qui intriguent dans votre dos – les « bons copains ».

Supplantés en nombre d’adhérents dans le privé par la CFDT – un syndicat réformiste qui se compromet avec Macron, l’ennemi de classe ! –, Martinez et ses affidés n’ont toujours pas ravalé leur rancœur. Récemment, Laurent Berger, ce timoré, ce persifleur, ce traître, qui s’acharne à méconnaître les vertus d’une « grève préventive », s’est permis d’ironiser à son endroit : « les emmerdements au quotidien des Français », est-ce forcément le prix des « avancées sociales » ?…

Amer savoir celui qu’on tire de la lutte.

Aujourd’hui, il n’y a de place pour personne dans son rêve, Martinez est seul ou presque – et serein comme une bactérie. Les Français qui poireautent à la pompe ont de bonnes raisons de le haïr. Cela ne lui déplaît pas. Qu’il est doux d’exister enfin et de les entendre hurler ! Bientôt il sera trop tard.

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Il espère encore, il espère toujours une grève générale, un prélude au grand chambardement mais non, finalement, il n’est pas si assuré de soi, ni de son combat, ni de son penchant libertaire ; il se sait trop timide, il reste un modéré, mais oui ! et surtout il tremble devant sa base. Il n’est pas dupe, tôt ou tard, il devra plier – on se bat contre un patron, pas contre une nation – et il prétendra pour la frime qu’il a gagné.

N’aura-t-il compté que pour du beurre ? On craint que le vide creusé par son départ en mars prochain soit infime. Peut-être aura-t-il été au cours de son mandat trop prudent, trop sage, à l’heure où il faut être le plus dingue possible pour exister – Sandrine, si tu nous entends… Peut-être aussi a-t-il manqué d’à-propos – par exemple quand, visitant la Cisjordanie cet octobre, il a prétendu avoir échappé de justesse aux « balles israéliennes » ! Simple erreur de com’ sans doute.

Il a longtemps rêvé d’être à la fois une idole et un camarade – il n’a réussi qu’à moitié.

Ce qui lui a manqué : le culot, avec une note de féerie.

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est écrivain, essayiste et journaliste littéraire

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