La petite femelle de Philippe Jaenada (Juillard) est un ouvrage appelé à dominer la rentrée littéraire. Jaenada nous rappelle l’affaire Pauline Dubuisson, qui déchaîna les passions dans la France de l’après-guerre. Âgée de 26 ans, la jeune étudiante en médecine est jugée pour avoir assassiné son ex-fiancé d’une balle dans la tête. Elle est condamnée, dans l’approbation générale: il ne fait aucun doute que Pauline est guidée par l’orgueil, la cruauté, et la perversité. Rien à attendre d’autre de la part d’une traînée qui a couché avec les Allemands, dans Dunkerque occupée, et qui fut tondue en 1945. Les journalistes féminines, en particulier, se déchaînent contre elles. Comme les femmes furent les premières à se jeter sur celles qui avaient fait corps avec l’ennemi, à la Libération. La plume des beaux esprits va plus loin dans la déshumanisation que la tondeuse des FFI: Pauline devient une « femelle ». Un monstre au cœur sec, à la tête froide. Indigne d’être une femme.
Un demi-siècle après le verdict, l’ouvrage de Jaenada délivre une plaidoirie pour la vérité. Il nous fait pénétrer en zone grise. Sur les traces d’une jeune fille qui a le visage grave des enfants précoces. Elevée par une mère dépressive, et un colonel en retraite de père, devenu entrepreneur de travaux publics. Le tout dans ce que le protestantisme a sécrété de pire: une rigueur, un étouffement des sentiments, et un conformisme, déconnectés d’une pratique religieuse jugée annexe.
Une jeune fille dure, lectrice de Nietzsche à l’âge de 11 ans. Alors que les Allemands mettent la main sur Dunkerque, son père l’envoie négocier à sa place des contrats auprès des officiers. Elle devient la maîtresse de plusieurs d’entre eux, à 14 ans. Elle ne quitte pas la ville, fortifiée par l’occupant et pilonnée par les Alliés, qui ne se rend qu’après la capitulation allemande du 8 mai 1945. Elle le paie au prix fort, à la libération du dernier réduit nazi. Comment se reconstruire après tant d’épreuves ? Pauline y parvient. Mais derrière le blindage de la nietzschéenne méprisant la faiblesse, les fissures sont nombreuses. Elles parsèment cette femme complexe et tourmentée. Véritable aimant à hommes, par sa beauté et son indépendance d’esprit. Une femme déchirée entre ses désirs, ses passions, ses aspirations.
Les ouvrages sur Pauline Dubuisson n’ont pas manqué, mais celui de Jaenada les surpasse. Il y a dans cette enquête fouillée une ampleur, une puissance balzacienne. Même travail obsessionnel. Même minutie des détails. Même ironie mordante. L’enquête n’épargne en effet ni les journalistes, ni les pontes de la justice, aveuglés par leurs conventions sociales, leur désir de frapper fort, pour l’exemple. On referme La petite femelle avec un sentiment de révolte, d’amertume et d’espérance. Celle qui affirme que le pardon peut relever, à condition de lui laisser une chance. De le formuler et de l’accueillir.
La petite femelle de Philippe Jaenada (Juillard).
*Photo: Sipa. Numéro de reportage :00683047_000016.
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