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Une cavalcade nommée de Broca

Un beau livre richement illustré sur le cinéaste français


Une cavalcade nommée de Broca
Interview de Philippe de Broca (1933-2004) lors du tournage de "Cartouche" (1962) © Renaud/leemage Leemage via AFP.

Un beau livre richement illustré recompose l’image d’un réalisateur aussi populaire que secret


On a tous quelque chose de Philippe de Broca (1933-2004). Notre dette envers lui est immense. Qui n’a pas vu Le Magnifique, L’Homme de Rio, Cartouche, Le Cavaleur ou Le Diable par la queue ne connaît rien des soubresauts de l’âme, la polka des sentiments contradictoires et les fanfaronnades tristes de l’homme français. Nous plaignons sincèrement cet être incomplet. Car de Broca fut ce phare dans un océan de sérieux, ce pincement au cœur quand la comédie se voulait grossière, cette tornade qui emportait le spectateur tout en instillant chez lui, un sentiment d’abandon.

Mécanique joyeuse

Ses films sans cesse revus ou redécouverts agissent comme des bornes existentielles, ils réenchantent notre quotidien, nous emportent et nous subjuguent. Broca est à la fois notre refuge et notre exil intérieur. Plus le temps avance, plus son génie nous manque cruellement. Nous avons appris à nous méfier des cinéastes d’avant-garde, ces chéris de la critique, encensés par les pouvoirs publics qui trustent les positions dominantes dans les médias mais dont l’empreinte émotionnelle est complètement nulle. Ils ont beau faire l’objet de conférences, de débats qui ennuient, de toute cette gesticulation intellectuelle un peu vaine, un peu vulgaire, ils n’arrivent pas à toucher.

Alors que les films de Broca brillent dans la nuit par leur parfum d’éternité, leur douceur désenchantée, leur dialogue confectionné dans ce friable organdi, cette mécanique joyeuse et pétaradante qui nous libère de nos chaînes. Broca est un libérateur, il ouvre les fenêtres de cette grande maison de famille, assoupie dans la campagne, à la façade défraîchie et fait valser les amours impossibles. L’instabilité des hommes vient se fracasser sur le rivage des femmes, cette terre inconnue dont le mystère est source de bonheur intense et de perplexité profonde. Aujourd’hui, les langues se délient, les vraies valeurs finissent par s’imposer, le talent exploser, les contemporains peuvent juger sur pièces.

Aristocrate de la pellicule

Certains jeunes réalisateurs osent même avouer que ce cinéma-là, celui du dimanche soir, populaire et étincelant, à l’humour légèrement ébréché et à l’action échevelée les a profondément nourris. Ils reconnaissent en de Broca un maître doublé d’un professionnel hors pair, c’est-à-dire un cinéaste star du box-office qui donne du confort de visionnage et de l’épaisseur à ses personnages, qui ne néglige jamais la qualité au détriment du plaisir gamin de s’amuser. Rares sont ceux qui réussirent aussi bien à doser l’aventure et le frisson, la fantaisie et l’introspection, sans tirer à la ligne, sans jouer les trémolos, Broca fut ce funambule délicat qui avançait sur cette mince corde sans jamais chuter dans la facilité.

Nous verrons fleurir bientôt des dizaines d’héritiers à Philippe de Broca, son aura commence à se propager. Il fallait un livre (Un Monsieur de comédie aux éditions Neva) signé Philippe Sichler et Laurent Benyayer pour recomposer la figure de cet aristocrate de la pellicule, un beau livre de Noël rempli de photos et de témoignages, une déclaration d’amour à un réalisateur finalement assez méconnu. Cet ouvrage de référence vient s’ajouter au formidable travail d’Alexandra de Broca qui perpétue l’œuvre de son mari, notamment en restaurant des films ou en faisant simplement vivre ce bel héritage culturel. On sait combien le réalisateur est admiré aux Etats-Unis, sa filmographie auscultée dans les meilleures écoles depuis Le Roi de cœur, sorti en 1966. Broca, l’oublié de la Nouvelle Vague et des revues spécialisées hexagonales, jalousé aussi pour ses millions d’entrées en salles et ses collaborations prestigieuses avec, entre autres, Belmondo, Cassel, Noiret, Girardot ou Montand a été, très tôt, reconnu et adoubé, outre-Atlantique, comme un authentique créateur.

Ce merveilleux livre, idéal pour les fêtes de fin d’année, comprend en cadeau le DVD « Les 1001 nuits » dans sa version TV de 4 X 52 mn. Il débute par un avant-propos de Jean-Paul Belmondo qui déclare : « J’ai aimé son rire, son imaginaire, son extrême rigueur dans la loufoquerie, la gravité secrète que dissimulaient ses pirouettes ». Dans la préface qui suit, Cédric Klapisch enfonce le clou : « Peu de réalisateurs ont autant réussi à mettre de la grandeur dans la légèreté ».

Cartographe intime

De mon côté, je considère de Broca comme le meilleur cartographe intime de la province française. Lui seul savait saisir ces moments instables où une ville endormie, au pavé glissant, embaume l’odeur de chèvrefeuille et au loin, un homme déambule cherchant une explication à sa vie. Il y a des scènes signées de Broca qui nous accompagneront jusqu’à notre mort, Jean Rochefort et Nicole Garcia, place des Victoires dans Le Cavaleur ou Philippe Noiret et Annie Girardot, square Viviani dans Tendre Poulet. Ce cinéaste-là est absolument à (re)découvrir !

Philippe de Broca, un Monsieur de comédie de Philippe Sichler et Laurent Benyayer – Neva éditions.

Philippe de Broca: Un Monsieur de Comédie

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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