Déjà quinze ans que Philippe Caubère écume les tréteaux avec son spectacle Le Bac 68. À force d’entendre narrer les aventures de son double Ferdinand, cancre aspirant cycliste-rockeur-poète-comédien qui se fout du tiers comme du quart, on pouvait craindre l’overdose. Raté !
Au théâtre de l’Athénée, dans l’antre de Louis Jouvet, à côté d’un Zemmour hilare, je me suis payé une bonne tranche de rire à l’évocation des Louison Bobet, Johnny Hallyday, Gérard Philipe et autres animaux préhistoriques qui peuplent l’imaginaire de Ferdinand, 17 printemps bourgeonnants. Seul en scène au milieu d’un décor spartiate, Caubère multiplie les clins d’œil à son public de « diplômés en lettres » sans jamais sombrer dans la mise en abyme scabreuse façon Jean Lefebvre. L’ancien complice d’Ariane Mnouchkine, dont il ne se lasse pas d’écorcher le patronyme, a le don de mimer tous ses personnages : l’examinateur du bac, Ferdinand, la cadette Isabelle, sa mère Claudine « paraphasique à cause de l’âge »…[access capability= »lire_inedits »]
Attifé de falbalas et d’un bonnet de marin, Caubère campe une matrone pétaino-gaullo-pompidolienne plus vraie que nature, sosie hystérique de Jean-Marie Le Guen (excusez le pléonasme…), affligée d’un fils indigne. Ventriloque d’un père absent, la mater familias matérialise la vieille France que les Enragés de mai entendent mettre à sac. « Faut se tenir ! », passe ton bac ou « Tu seras coiffeur ! » car « Tous les acteurs sont des tatas ! » répète-t-elle à son rejeton Ferdinand « au planning trop chargé » mais jamais levé avant midi.
C’est d’ailleurs essentiellement cela, Mai 68, l’occasion pour une génération d’Oblomov onanistes biberonnés à Salut les Copains « de se lever avant midi » au prétexte de renverser le vieux monde. On rit aux éclats devant les sorties facho-burlesques de mère Claudine (« Ce qu’on a pu s’amuser sous l’Occupation ! »), avant d’applaudir à tout rompre le clou du spectacle : l’oral du bac.
Digne du meilleur Dupontel, ce sketch conclut magistralement le one-man-show. Le jour du bachot, un examinateur pince-sans-rire fait plancher Ferdinand sur la Sibérie. Vaste sujet… que le glandeur ignore superbement. Des rennes gros mangeurs de lichens et d’agrumes qui « déambulent » dans la toundra au pétrole arrosant « la grande mer internationale », les inepties de Ferdinand consternent son interrogateur. Mais tireraient des larmes de joie à un condamné !
Au terme de presque deux heures passées à toute berzingue, le spectateur contredit la sentence maternelle : « Quand on est fou, malade et qu’on a des croûtes, on ne fait pas comédien ! » Et accorde un prix d’excellence théâtrale à l’élève Caubère.[/access]
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