Rentrant de Bretagne le 14 au soir, j’achète Le Monde avec son Magazine et je découvre qu’à la page 26 de celui-ci, j’ai droit à un portrait, « Qui est vraiment Philippe Bilger ? », sous la signature de Franck Berteau.
Je ne connais pas ce dernier, je ne l’ai jamais rencontré dans mes vies professionnelles et je ne crois pas qu’il ait jamais suivi un procès d’assises où j’étais avocat général.
Alors, pourquoi ce portrait et, surtout, pourquoi par ce monsieur ?
Pourquoi, en effet, ce regard biaisé par un trou de serrure ?
Je songe à Beaumarchais : il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui obtint le poste. Il fallait un journaliste de savoir, de compétence et de talent. J’ai eu Franck Berteau.
Celui-ci – né en 1986 – collabore comme pigiste à M, le magazine du Monde et a aussi écrit des articles pour Les Inrockuptibles et Le Parisien.
Mais je suis injuste avec lui. Nous avons tout de même un point commun qui sans doute était décisif pour mon portrait : il est un spécialiste du foot et je suis un passionné de ce sport à la télé.
En général, on prend ce que les médias vous offrent et surtout on ne devrait pas faire « le fin esprit » devant ce cadeau d’une page du Magazine du Monde. Aussi pervers qu’il soit. Mais comme ce portrait suit un fil rouge clair et parfaitement identifiable dans son hostilité, je m’interroge sur les motivations qui ont conduit à confier une tâche pareille à un Franck Berteau à propos d’un « réactionnaire » aussi médiocre.
Ai-je manqué de révérence globale à l’égard du Monde ? Suis-je coupable d’apprécier Gérard Courtois, Franck Johannès, Pascale Robert-Diard, Renaud Machart, Arnaud Le Parmentier, Philippe Ridet, Judith Perrignon entre autres, mais pas tout le Monde ? Ai-je failli en dénonçant parfois les éditos à la fois sentencieux et péremptoires, surtout dans le domaine judiciaire ? N’aurais-je pas dû répliquer à l’exemplaire Jean Birnbaum qui m’a fustigé parce que, Marcel Proust étant un génie et Françoise Bourdin un écrivain à succès, j’avais osé en même temps célébrer, pour l’éternité, le premier et vanter aujourd’hui la seconde ? Quelle a été ma faute, ma très grande faute ? Sans le savoir, ai-je franchi cette impalpable frontière qui sépare la critique admissible et recevable de l’attaque indécente et indigne selon les critères de ce grand quotidien irremplaçable et agaçant ?
Toujours est-il que je suis contraint de formuler ces interrogations car à bien lire cette approximation délibérément fragmentaire, on devine aisément le ressort qui a inspiré cette triste pochade.
D’abord, une révélation et une erreur dont Berteau n’est pas responsable.
Une révélation : j’ai un cheveu sur la langue. A la longue je devrais me sentir flatté pour que d’Ardisson à Berteau, en passant par quelques autres, on s’attarde sur un élément aussi capital. C’est déjà sans doute reconnaître un peu l’importance de la langue.
Le 2 avril je publierai en effet un livre aux éditions de l’Archipel, Contre la justice de gauche, qui sera consacré essentiellement à Christiane Taubira et à son action (?).
Ce sont des détails et l’essentiel est ailleurs.
Il est articulé sur Maxime Brunerie, Eric Zemmour, Alain Finkielkraut, Robert Ménard et toujours Christiane Taubira. Dans le vivier conséquent d’une carrière judiciaire et de ses suites depuis octobre 2011 – elles sont mentionnées mais comme s’il était honteux d’avoir désiré rajouter une corde à mon arc avec ces entretiens vidéo -, Franck Berteau va chercher, de manière infiniment partielle et tout à fait partiale, des épisodes qui, mêlant le judiciaire à ma passion de la liberté d’expression, ne visent qu’à donner de moi l’image d’un « facho » qui ne serait obsédé que par des personnages détestés par Le Monde, d’un compulsif du sulfureux et du provocant.
« Je devrais ma réputation à des réquisitoires inattendus… et mon style serait fait d’envolées grandiloquentes et d’un verbe à la fois dur et humain à l’encontre des accusés ». Je serais prêt à souscrire à cette appréciation qui me semble contradictoire, en tout cas mi-figue, mi-raisin, si Franck Berteau l’avait formulée au nom d’une expérience personnelle et d’une connaissance directe. A l’évidence, ce n’est pas le cas. Je ne parviens pas à déceler au nom de quoi il s’autorise cette analyse car manifestement la magie de la cour d’assises, le rôle de l’avocat général et les facettes multiples de la parole judiciaire n’ont que des secrets pour lui. Il serait pardonnable s’il ne s’en mêlait pas.
Il aurait dû, s’il avait été un journaliste sérieux, compléter son information sommaire auprès de chroniqueurs judiciaires, d’avocats et d’experts. Les uns et les autres, sans éprouver forcément de la sympathie pour ma personne, lui auraient permis d’affiner son analyse. En vrac, Franck Johannès du Monde et auparavant à Libération, Pascale Robert-Diard et Patricia Jolly du Monde, Stéphane Durand-Souffland au Figaro, Patricia Tourancheau , Dominique Simonnot, Emmanuelle Maurel, Gilles Gaetner, Mathieu Aron, Laurent Doulsan, etc. Pour les avocats, notamment Jean-Louis Pelletier, Henri Leclerc, Thierry Lévy, Jean-Yves Le Borgne, Eric Dupond-Moretti, Franck Berton, Françoise Cotta…
J’ai bien conscience que ces références comptent peu au regard de la volonté de ce journaliste spécialiste en sport de s’aventurer sur un terrain qu’il feint de maîtriser mais il aurait été honnête, pour lui, de se former. Avant de portraiturer.
Brunerie. Dans la multitude des procès où j’ai soutenu l’accusation, il extrait celui de Brunerie, à cause de l’idéologie de ce dernier, et rappelle justement que j’ai été dépassé dans mes réquisitions. D’une part ce phénomène n’est pas honteux même si je l’ai rarement subi et d’autre part, pour cette affaire, Pascale Robert-Diard, qui a la faiblesse de connaître ce sur quoi elle écrit, m’a fait l’honneur de consacrer un compte rendu exclusivement à mes réquisitions parfaitement rapportées entre guillemets.
Eric Zemmour. En effet, j’ai défendu la liberté d’expression de celui-ci, comme celle d’autres qui étaient aux antipodes de moi, et j’en suis fier. Berteau, sur ce plan, rajoute son grain d’aigreur à la procédure disciplinaire engagée à ce sujet et à mon encontre par la déplorable Michèle Alliot-Marie garde des Sceaux alors. Je vais faire de la peine à Franck Berteau s’il sait ce que cela signifie : elle a été classée sans suite au bout de trois jours.
Alain Finkielkraut et Robert Ménard. Avec ces entretiens vidéos qui me permettent enfin de ne plus donner de réponses mais de m’effacer avec volupté derrière de grands esprits et des intelligences courageuses, de droite, de gauche ou d’ailleurs, j’ai rencontré Alain Finkielkraut, et j’ai été ébloui, Robert Ménard, et j’ai été touché, mais aussi Edwy Plenel, Hervé Temime, Eric Zemmour, Michel Erman et bientôt, je l’espère, Michel Onfray, Henri Guaino, Régis Debray, Elisabeth Lévy et Audrey Tautou. Ségolène Royal aussi si elle a un jour la politesse élémentaire de répondre à mon message pour me dire oui. Et d’autres encore, au fil de mes empathies et de mes curiosités, avec un souci de pluralisme intellectuel, politique et culturel, que le portrait néglige délibérément.
Christiane Taubira. Je perçois que cela m’est imputé à charge par ce journal qui sans cesse, à deux ou trois lucidités près, a soutenu la ministre de la Justice pour toutes ses inactions et pour l’ensemble de son verbe. Je persiste : elle est depuis vingt mois un piètre garde des Sceaux, ce que les Français en large majorité confirment. La Justice méritait mieux et son intelligence magnifiée par une oralité, dans le milieu politique facilement remarquée, aurait gagné à être opératoire.
Il me paraît normal qu’un homme épris de la liberté d’expression et tentant de respecter le plus possible dans sa vie ce beau principe accepte en retour la rançon de ses élans et de ses parti pris, tout en n’ayant jamais dissimulé ce qu’ils étaient. Mais avec ce portrait on se trouve face à une opération de dénaturation et d’approximation. Le Monde et son Magazine, en général, ont toujours su habiller leurs préjugés et leur hostilité avec une apparence technique d’objectivité et de rigueur. Comment le rédacteur en chef du Magazine, Marie-Pierre Lannelongue, a-t-elle pu laisser passer cette méchante page et cette mauvaise action d’un journaliste sur commande ? Il ne manque, pour être complet dans l’indécent, que la condamnation de mon père et un éloge appuyé de Maître Szpiner !
On ne sait jamais vraiment qui on est.
Mais, pour Franck Berteau, on ne le sait que trop.
*Photo : ALFRED/SIPA. 00641531_000023.
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