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Fin de vie, avortement: la crainte de la surenchère…

... et la peur d'être péremptoire sur des sujets hautement sensibles


Fin de vie, avortement: la crainte de la surenchère…
Couverture de L'Obs 31 mars 2021 © DR

J’ai peur des avancées qui sont des reculs!


Avant d’aborder, je l’espère avec délicatesse, le fond de mon billet concernant la proposition de loi d’Olivier Falorni sur « le droit à une fin de vie libre et choisie » et la tribune de 343 femmes exigeant que le droit à l’avortement dépasse les douze semaines légales pour aller à quatorze, je voudrais rappeler d’où j’écris, ce qui impose un honnête préambule. Je n’ai jamais considéré, d’abord, que le fil du temps était naturellement et nécessairement progressiste. Il n’y a aucune fatalité dans le changement, mais on a le droit de le choisir lucidement.

On constate une manie française de s’appuyer sur ce qui a été légitimement obtenu pour pousser le bouleversement plus loin

Ensuite, pour être en désaccord avec telle ou telle orientation se qualifiant de progressiste, je ne serai jamais péremptoire sur ces matières humaines et personnelles infiniment sensibles. Je ne tournerai pas en dérision, comme il a pu m’arriver de le faire, ces pétitions d’artistes ou exclusivement de femmes, comme en l’occurrence, aspirant à une autorité indiscutable parce qu’elles sont femmes et connues ; ou mêlant à leur concert une Assa Traoré ayant vanté la polygamie en France.

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Enfin, dès lors qu’on adopte cette ligne de conduite précautionneuse, il me semble qu’on n’est pas illégitime à se mêler d’un débat n’ayant pas vocation à être exclusivement féminin. Pourquoi, alors, suis-je réservé à l’égard de cette volonté de maximalisme sur des sujets très douloureux dont on pourrait souhaiter que le consensus fragile les concernant ne soit pas battu en brèche par une surenchère préjudiciable? Précisément à cause de cette manie française de s’appuyer sur ce qui a été légitimement obtenu pour pousser le bouleversement plus loin. Comme s’il ne suffisait pas d’avoir combattu une fois, mais qu’il fallait forcément renouveler l’exercice.

Évolution des lois bioéthiques

La loi Veil avait fixé le délai pour pouvoir avorter à 12 semaines et en 2001 l’Assemblée nationale avait solennellement consacré le caractère intouchable de ce droit. Est-il vraiment opportun et urgent de rouvrir une problématique pour deux semaines de plus sans que nous soyons assurés des effets de cette prolongation? De la même manière, pour la fin de vie, la loi Claeys-Leonetti (alliance de la droite et de la gauche) avait permis une évolution et à la fois posé des limites. Dans ces conditions, la proposition de loi d’Olivier Falorni, qui sera débattue en séance publique le 8 avril – avec la bagatelle de 3 000 amendements dont 2 300 déposés par le groupe LR, ce qui devrait exclure une discussion sur une seule journée – ne devra pas être traitée comme si elle était scandaleuse en elle-même mais avec intelligence et sensibilité. Pas davantage avec une arrogance qui jugerait l’opposition à cette proposition comme passéiste et indigne! J’admets que sur la fin de vie 272 députés veuillent « débattre et voter », qu’un député LREM nous enjoigne: il faut humaniser l’agonie mais qu’un autre du même groupe réplique: appliquons d’abord la loi ! Cette dernière position rejoint celle du professeur Juvin, qui considère qu’il y a encore trop de femmes qui ne bénéficient pas de la loi Veil faute de moyens et que l’urgence se trouve plutôt dans la pleine effectivité de celle-ci. Si j’écarte de la discussion l’intuition intime qui m’incite toujours, par une manière de lâcheté respectueuse de la nature, à laisser faire le cours de ce qu’elle décrète pour la fin de vie, je peux cependant discuter un argument souvent utilisé et exprimer une crainte de plus en plus d’actualité.

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Argument souvent utilisé: tout serait permis puisqu’on aurait une absolue liberté sur soi et sur son corps. Il me semble que cette disposition, derrière son humanisme apparent, est contredite par un certain nombre d’exemples. Poussée à bout, elle légitimerait tout ce que la folie, le délire ou l’irresponsabilité seraient capables d’inventer au prétexte qu’il s’agirait d’une autarcie impérieuse et que le scandale serait d’oser la réduire. Il y a des libertés qui sont choquantes et dangereuses pour la société, même quand elles feignent de se donner l’élégance d’une bienveillance totale concédée à chacun.

Repousser le délai pour avorter n’est pas sans risque

Crainte: faire passer au-delà de 12 semaines le droit d’avorter serait un signal très périlleux, de même paradoxalement que cette mort qui serait « libre et choisie », au regard de l’évolution de notre société où de plus en plus on blesse et on tue comme on respire. Il est illusoire de croire qu’une cloison étanche existera toujours et par principe entre nos indépendances, même validés par le Parlement, et l’humus délétère d’un monde qui risque d’être gangrené par toute complaisance à l’égard de la disparition de soi ou de ce qu’on porte au-delà des douze semaines validées, et dans quelle tension et avec quel courage par la ministre d’alors!

Qu’on me comprenne bien. Ce n’est pas parce que j’ai peur d’avancées qui pour moi seraient des reculs que j’ai forcément raison. J’ai droit à la parole comme tant d’autres mais qu’on accepte au moins d’appréhender ces infinies, douloureuses et tragiques complexités avec un esprit et une main tremblants.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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