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Peut-on dire du bien de Virginie Despentes ?


Peut-on dire du bien de Virginie Despentes ?
Virginie Despentes, membre du jury du prix Goncourt, à Paris, le 4 novembre 2019 ISA HARSIN/SIPA 00930839_000022

Celle qui a écrit la trilogie, Vernon Subutex, n’est-elle qu’une idéologue néo-féministe dénuée de tout talent littéraire ? Notre chroniqueuse, Sophie Bachat, ose croire que non et trouve des qualités à son nouveau livre, Cher Connard, qui traite surtout du thème de l’addiction.

Moi, Sophie B, 54 ans, chroniqueuse à Causeur et très heureuse de l’être, j’ai aimé Cher Connard, le dernier roman de Virginie Despentes. Et il semblerait que je n’en aie pas le droit. Pas le droit parce que j’écris pour un média dit réac, pas le droit, car sans l’avoir lu, un certain public décrète qu’un roman de Despentes est forcément un salmigondis d’idéologie woke mal écrit. Dire du bien de Despentes dans Causeur est donc un exercice de haute voltige.

Mon premier constat est le suivant : plus personne ne sait lire, les journalistes comme les lecteurs, ou plutôt chacun lit ce qui l’arrange. Pour la presse mainstream, le Despentes est une resucée des Liaisons Dangereuses à la sauce féministo-woke, ce qui est bien dans les clous et dans l’air du temps ; pour les autres elle est la femme à abattre, la virago féministe et moche. Forcément, c’est tellement facile. Alors qu’à mon sens, cela n’est ni l’un ni l’autre, j’y reviendrai par la suite.

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Bien sûr, lui revient comme un boomerang le texte qu’elle a écrit en 2015 pour les Inrocks, où elle déclare son « amour » aux frères Kouachi. Bien évidemment, cela est choquant au-delà des mots, mais la sidération passée, si nous risquions une analyse de ce brûlot ? A la relecture, nous pouvons y voir une rêverie cauchemardesque et surtout hallucinatoire, un discours nihiliste qu’un personnage  des « Possédés »  de Dostoievski, aurait pu tenir, ou un texte que Jean Genet aurait pu écrire. Je trouve en effet, que Despentes et l’auteur de Notre Dame des fleurs ont des points communs, ne serait-ce qu’un fort penchant pour les hommes arabes. Mais comme d’habitude, seuls les passages les plus choquants ont été cités, car l’auteur du texte fait preuve d’une certaine lucidité, vers la fin : « On a chacun nos petites obsessions, moi c’est la masculinité ». Nous y voilà, Despentes, qui a malheureusement subi un viol, semble vouloir le faire payer à tous les hommes, et depuis une dizaine d’années, le fait savoir jusqu’au délire, à tel point que cela ressemble à un fonds de commerce. Je ne suis pas dans sa chair, et ne peux comprendre cette haine – au sens premier du terme – moi qui au contraire, ai une trop grande indulgence pour la gent masculine. Justement, une des choses qui m’ont plu dans Cher Connard (m’est avis que ce titre racoleur ne vient pas d’elle), c’est précisément qu’elle met de l’eau dans son vin, et que nous sommes à des années-lumières du brûlot féministe.

Venons-en au fait. De quoi est-il question dans « Cher Connard » ? Chacun sait maintenant qu’il s’agit d’un roman épistolaire – ou plutôt qui obéit au dispositif du roman épistolaire – qui met en scène trois personnages : une actrice connue sur le retour (fortement inspirée de Béatrice Dalle), un auteur qui a subi un metoo, et la blogueuse féministe, ancienne attachée de presse, responsable de ce fameux metoo. Il est évident que l’auteur nous parle d’elle à travers ces trois voix. Quant à la comparaison avec les Liaisons Dangereuses, elle est à mon sens d’une très grande paresse intellectuelle. Car Les liaisons obéissent aux règles très précises du libertinage aux accents sadiens, que des aristocrates, épuisés par leur oisiveté, avaient mises au point. Ceux que l’on appelait les roués, et qui mettaient en place des rapports de forces d’une grande perversité.

Le féminisme cède la place à l’addiction

Au contraire, le dernier Despentes est le roman de l’apaisement, la virago baisse un peu les armes, le temps a passé et la fête est finie. Mais le thème central en est surtout l’addiction. Les quelques pages qui traitent de féminisme – par l’intermédiaire de Zoé la blogueuse – tiennent presque du passage obligé, du cahier des charges. On sent que l’auteur, finalement, ne se retrouve plus dans le bruit et la fureur du féminisme 2.0, et fait dire à Rebecca – le personnage de l’actrice – celui qui est le plus proche d’elle : « Trop de féminisme tue le féminisme ». Bien sûr, on ne se refait pas, et nous avons encore droit à quelques saillies absurdes telles que : « Les lesbiennes vieillissent mieux, car elles souffrent moins ».

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L’addiction donc est au centre du roman, et cela a été très peu dit, ce qui est proprement sidérant. Rebecca, l’actrice, et Oscar l’écrivain, vont s’entraider pour surmonter leurs addictions et suivre le programme des narcotiques anonymes. Cela donne lieu aux plus belles pages à propos des drogues, de l’alcool et leurs ravages, qui m’aient été donné de lire dans la littérature française (les américains le font beaucoup mieux). « J’émerge d’un brouillard, je sais qui je suis maintenant. Cependant, mes fragilités, la peur de vieillir, la peur de mourir, la solitude, font que tout ce que je vois ne me fait pas plaisir, et que je ne vois pas de solution à chaque problème. Juste la sérénité d’accepter les choses que je ne peux pas changer ».

C’est cela le thème de Cher Connard : pouvoir, à cinquante ans, accepter que la fête est en partie finie ;  en deux  mots, accepter le vieillissement et l’inéluctable fin. Le plus sereinement possible.

Nous pouvons lire également – et cela est rare chez Despentes –  des pages très tendres, quasi midinette sur l’amour qui finit forcément mal. Il n’y a pas une once de trash, et la seule scène de sexe (entre deux hommes), est décrite avec subtilité et pudeur.

Un mot à propos de son style, si décrié. Despentes est avant tout une formidable portraitiste, en témoignent les descriptions des personnages qui participent aux réunions des narcotiques anonymes, nous les voyons, et nous les aimons.  Elle a du rythme, sa propre musique, même si quelquefois certains passages peuvent paraître bâclés, comme si elle tirait à la ligne.

Elle est pour moi un mélange d’écrivain naturaliste sous acide et d’auteurs américains à la Selby. Au plus près des corps, de la souffrance, de l’innommable parfois. Mais ce style d’écriture est peu compris en France, pays de l’intellectualisme parfois pompeux.

Voilà, j’en ai fini de mon scandaleux plaidoyer ; et enfin, pour plaider ma propre cause (perdue), je voudrais préciser qu’il n’y a nulle provocation de ma part. J’ai simplement voulu sauver le soldat Despentes, lui rendre un peu justice, en évoquant l’écrivain majeur qu’elle est. Malgré tout.

Cher connard

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est enseignante.

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