Alors que la Russie a envahi l’Ukraine, il devient suspect d’apporter un peu de nuance
Après l’insoluble dichotomie qui a opposé les pro et anti vax, disloquant les amitiés, séparant les familles et désignant à chaque camp le camp d’en face comme responsable de la Bérézina, l’actualité tente de nous offrir une nouvelle ligne Maginot dont est exclue toute nuance et éliminé tout questionnement…
Il devient même suspect d’affirmer que Saint-Pétersbourg est une ville inoubliable ou Tolstoï un écrivain de génie.
Soutenir l’OTAN n’exempte pas de toute réflexion
L’admiration que portaient certains Européens il n’y a guère à un Poutine sourcilleux et intransigeant quant aux intérêts de la nation russe s’assimile à présent à de la haute trahison. Ces Européens, nostalgiques d’une époque où l’intérêt de la nation était la principale préoccupation des dirigeants, n’en sont pas moins des Atlantistes convaincus et préféreraient sans équivoque vivre à Miami plutôt qu’à Vladivostok.
Et pourtant, le choix clair et net en faveur de l’OTAN nous exempte-t-il de toute réflexion ? Si l’on ne souhaite pas vivre sous la férule d’un dirigeant formé par le KGB, doit-on pour autant oublier que notre « allié » Erdogan menace également l’Europe de l’Ouest, sans même plus s’en cacher, et occupe militairement un pays membre ? Peut-on, du bout des lèvres, et tout prêts à la rétractation, murmurer que l’OTAN a sans doute armé les djihadistes tchétchènes comme elle le fit des Talibans ou des Kosovars ? Et à propos de Kosovars, peut-on rappeler que l’OTAN a bombardé la Serbie et l’a contrainte à se séparer d’un territoire ? Ou bien nous faut-il absolument dépeindre les pays de l’OTAN comme d’immaculées colombes distribuant aux quatre coins du globe la paix, la fraternité et la démocratie ? La « realpolitik » chère à Kissinger ne laisse que peu de place à la réflexion et force est d’admettre que, oui, il a fallu s’allier au sanglant Staline pour se débarrasser d’Hitler. Mais nous ne sommes pas tous des Kissinger et la presse se grandirait à réfréner son unanimisme.
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Ce n’est pas trahir que questionner. Ce n’est pas applaudir la Russie que rappeler que la situation ukrainienne est complexe. Non, nous n’avons pas à tolérer l’invasion d’un pays par un autre et nous n’avons pas à rester les bras ballants. Oui, les menaces proférées par Poutine au cas où la Suède et la Finlande, pays souverains l’un et l’autre, décidaient de rejoindre l’OTAN, ne sont pas admissibles. En effet, il est hautement probable que Poutine, VRP de Gazprom, a renoué avec les vielles techniques de l’URSS qui infiltrait les mouvements pacifistes pendant la Guerre froide et a infecté les partis politiques et ONG antinucléaires, nous privant de toute autonomie énergétique.
Constater la complexité n’est pas être déloyal
Mais décrire les fautes de la Russie doit-il nous frapper d’amnésie jusqu’à nous faire oublier la fable des « armes de destructions massives » qui permit aux États-Unis d’intervenir en Irak et de foutre le bordel au Moyen-Orient ? Doit-on fermer les yeux sur le régiment Azov qui brandit avec la même fierté la rose de vent de l’OTAN et la croix gammée du Troisième Reich ? Est-il permis de rappeler à Ursula von der Leyen quand elle s’indigne avec une inhabituelle virilité que « la reconnaissance de deux territoires séparatistes en Ukraine est une flagrante violation du droit international, de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et des accords de Minsk » que les Serbes auraient sans doute hautement apprécié la même déclaration, remplaçant « Ukraine » par « Serbie » et « Minsk » par « Koumanovo » ?
Plus la situation est complexe, et même énigmatique, plus la réflexion doit être alimentée. Et celle-ci n’oblitère en rien notre loyauté vis-à-vis de nos partenaires, alliés et amis.
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