Le cruel dénouement de la dernière journée de championnat de France ne m’a pas laissé indifférent, vous vous en doutez, puisque je vous avais part de ma passion pour le FC Sochaux quelques jours plus tôt. Attristé, j’avais fini par prendre les choses avec philosophie. Après tout, j’avais déjà connu trois relégations pour autant de remontées dans l’élite. Pourquoi la quatrième ferait-elle exception ? Seulement voilà, nous sommes en 2014. Et la dimension économique a pris, lors des dix dernières années une place sans commune mesure avec la situation de 1999, année de l’avant-dernière relégation du FCSM. Ce poids du business dans le foot se double d’une situation économique générale dans notre pays, et particulièrement dans le secteur automobile.
Or, Sochaux, c’est Peugeot. Et voilà que PSA vient d’annoncer qu’il recherchait des nouveaux partenaires, voire un repreneur si c’est possible. Vous avez bien lu : la firme qui avait créé le club mais aussi initié le championnat professionnel de football en France veut vendre le FC Sochaux. C’est une révolution. Le président de la SASP[1. Société Anonyme Sportive Professionnelle.], Alain Cordier, a démissionné en même temps que l’annonce de cette nouvelle. Il ne souhaitait visiblement pas être l’homme de la vente du FC Sochaux. Les supporteurs craignent la mort de leur club, car beaucoup de clubs dans cette situation ont fini par périr, les Strasbourgeois savent de quoi je parle. Jean-Claude Plessis, le dernier président à avoir offert des trophées au FCSM, se range, comme les supporteurs, dans le camp des inquiets.
Né en 1928, et après avoir passé soixante-six ans dans l’élite, soit plus que n’importe quel autre club français, mon club est sans doute en train de crever. La passion du gamin de dix ans, que je vous expliquais il y a deux semaines, ne s’éteindra jamais, mais je frémis à l’idée que plus jamais un autre gamin de dix ans ne connaisse la même passion que la mienne.
Tout cela n’est pas très grave, vous lis-je déjà commenter sous ce texte. Ce n’est après tout qu’une histoire de mecs qui courent après un ballon. Sauf que.
Sauf que cette volonté de PSA n’est pas isolée d’un contexte. Si Carlos Tavares, son nouveau président qui a fait ses classes chez Renault, a pris cette décision, c’est dans le cadre d’une stratégie plus vaste. Une stratégie selon laquelle le groupe doit se concentrer sur la filière automobile et ne plus se disperser. Où être actionnaire d’un club de football, et mettre la main à la poche de temps à autre pour combler un trou (comme c’est souvent le cas avec les clubs formateurs en 2014), ce n’est plus vraiment la priorité. Mais cette explication ne va pas assez loin. En vendant le FCSM dont le stade jouxte les usines de Sochaux-Montbéliard, Tavarès coupe volontairement le groupe de son histoire. Il la coupe d’une partie de ses racines. Et, selon Carlos Tavares, et Carlos Ghosn, pour un groupe mondialisé, les racines, l’Histoire, c’est superfétatoire. C’est là que le supporteur, qui n’est parfois pas chroniqueur à Causeur, mais tout simplement ouvrier à Sochaux, prend peur.
Ne serait-on pas prêt, après avoir vendu sa passion du samedi soir, de couper les racines géographiques du groupe et de poser sur la table le postulat suivant : l’avenir du groupe PSA n’est plus forcément lié au Pays de Montbéliard ? Le site industriel de Sochaux n’est-il pas en danger ? Des délocalisations se préparent-elles ? Que ceux qui étaient prêts à m’expliquer que le sort d’un club de foot passe après les emplois des ouvriers en soient bien conscients : les deux ne sont pas incompatibles, ils sont même très liés. Le FCSM, c’est le trait d’union entre Peugeot et Sochaux. Penser à l’un, c’est penser à l’autre, car il y a l’histoire et il y a la géographie.
Ce monument en péril peut-il encore être sauvé ? Assurément. Tous les regards sont aujourd’hui tournés en direction de la Famille Peugeot, à la tête d’une des plus grandes fortunes de France. Si, en mémoire de ses ancêtres qui avaient installés les usines dans le Pays de Montbéliard[2. Parce que beaucoup de leurs coreligionnaires protestants y vivaient.], cette famille pouvait racheter les parts du club (goutte d’eau par rapport à l’étendue de son patrimoine), le FCSM ne mourrait pas. Et un signe serait envoyé à Monsieur Tavares : un grand groupe industriel ne se coupe pas de ses racines. Les zélateurs du modèle allemand, d’ailleurs, ne me contrediront pas. Bayer Leverkusen et VSL Wolfsburg existent, après tout.
*Photo: Laurent Cipriani/AP/SIPA.AP21559032_000007.
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