Accueil Économie Ce n’est pas le pétrole qui disparaît, c’est la demande de pétrole

Ce n’est pas le pétrole qui disparaît, c’est la demande de pétrole


Ce n’est pas le pétrole qui disparaît, c’est la demande de pétrole
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Le prix du baril de pétrole, qui était de 1 dollar en 1972, est monté à près de 150 dollars en 2013, avec des projections qui le voyaient aller jusqu’à 300 dollars. Et le voilà retombé aujourd’hui aux alentours de 50 dollars. Pour expliquer une évolution aussi spectaculaire, il faut comprendre que le pétrole a été à un moment  un prix politique, mais que la loi du marché a pris sa revanche. C’est que l’on ne viole pas sa loi sans conséquence. Quand un prix se situe durablement très au-dessus du coût de production – au début des années 1970, ce coût s’élevait à 10 cents par baril et il tourne aujourd’hui autour des 3 dollars au Proche-Orient –, un tel sur-prix a des effets tant sur l’offre que sur la demande qui viennent corriger la situation.

Le culte du pétrole

Ce qui a déclenché la première hausse, c’est la guerre du Kippour en 1973. La réunion entre l’Opep et les compagnies qui se déroulait à Vienne – à l’époque les compagnies étaient partenaires de l’Opep dans le cadre des accords de Téhéran – a été interrompue du fait du conflit. Et l’on s’est retrouvé à Koweït pour décider de l’embargo et du relèvement du prix du baril. Mais cette fois, nous étions en formation Opaep – Organisation des pays exportateurs arabes de pétrole – c’est-à-dire sans l’Iran, l’Indonésie ou le Venezuela. Les pays arabes se retrouvaient donc entre eux dans une ambiance tout empreinte de religion en plein ramadan. Je fus le témoin direct de cette réunion. Tous les participants n’étaient pas en djellaba – Bélaïd Abdessalam en particulier, le ministre algérien du pétrole, était en civil – mais tous priaient. On voyait à la télévision les images de la guerre et Sadate devant le Parlement proclamant prématurément la victoire sur Israël, tandis que le président algérien Boumediene, lui, annonçait par un télégramme qu’il mettait à sa disposition tous ses hommes au service de la cause.  Et qu’elle était la cause ? C’était « les juifs à la mer ».  Tous  pensaient qu’ils finiraient par la gagner. On connaît la suite…

L’embargo, quant à lui, était une rupture complète du contrat, et il a fait prendre conscience à tout le monde que le pétrole est une matière première complètement politisée et, dans le cas d’espèce, complètement « islamisée ».

Le deuxième événement politique qui a influencé les cours est la révolution iranienne de 1979, d’inspiration elle aussi islamique, qui a encore majoré le prix. Par la suite, il s’est ensuivi une assez courte période d’accalmie troublée par la guerre Iran-Irak durant les années 1980, l’invasion du Koweït en 1990 puis l’invasion de l’Irak par les Américains en 2003, et en fin de période une flambée des prix dopée par la progression de la demande chinoise.

La théorie du « peak oil »

En réalité, la mainmise du politique sur le marché pétrolier était totale. Il y a eu une espèce d’alliance objective – pour ne pas parler de conjuration afin d’éviter de tomber dans le complotisme – entre les compagnies pétrolières, les écologistes et l’Opep.  La manifestation de cette alliance a été la théorie du  « peak oil ».

Cette idée du « peak oil » se nourrit  du fantasme que les réserves pétrolières  sont connues et finies et que, par conséquent , chaque extraction de baril non compensée par de nouvelles découvertes de pétrole nous rapproche du jour où les réserves commencent à diminuer pour aller jusqu’à l’épuisement. En 1973, on parlait d’un horizon à 30 ans, ce qui amenait ce moment fatal à 2003. Or qu’a-t-on vu à cette date ? Rien naturellement. Cet horizon du « peak oil » ne cesse de reculer à mesure qu’on avance… Pour la bonne raison que le volume des réserves est inconnu. D’abord le calcul des réserves est en soi compliqué : reposant sur une probabilité établie sur les découvertes les plus récentes, il est sans cesse révisé. Ensuite et surtout, le montant des réserves dépend à la fois de la physique, des capacités technologiques et du prix que l’on est prêt à y mettre. Or les progrès peuvent être énormes, comme on l’a vu récemment avec l’extraction du pétrole de schiste. Ce dernier n’entrait pas jusque-là dans les calculs de réserve !

Le « peak oil » rentre naturellement dans la mentalité des écologistes qui considèrent qu’étant donné que la Terre est un monde fini, il faut arrêter la croissance. Et il s’est trouvé, comme toujours dans ces cas, des scientifiques stipendiés pour accréditer cette thèse. Quant aux compagnies pétrolières, elles-mêmes productrices de pétrole, l’idéologie du « peak oil » servait évidemment leurs intérêts, tant un prix du brut élevé augmentait leurs superprofits.

Le « peak oil » de la demande

Le relèvement brutal des prix du pétrole, en touchant un point vital chez les pays consommateurs, a suscité de la part de ces derniers une impulsion décisive, qui s’est traduite par un formidable déploiement technologique en matière énergétique. Tout d’un coup on s’est dit : au secours, il n’y a plus d’essence pour nos bagnoles !

Mécaniquement, la hausse soudaine des prix du pétrole Opep a eu pour effet d’encourager la recherche de pétrole non Opep et dans les énergies non pétrolières, et il a stimulé les économies d’énergie dans des proportions incroyables. En 1973, la France consommait 127 millions de tonnes, pour moins de 80 millions aujourd’hui, alors que le PIB a triplé de valeur entre-temps. Et ce phénomène d’efficacité énergétique a été observé dans tous les pays occidentaux. D’où le développement hier du nucléaire, et demain du solaire. Le lobby nucléaire a été, particulièrement en France, très puissant, un véritable État dans l’État.

Ce à quoi on a assisté, c’était donc à un véritable « peak oil », en effet, mais non du côté de l’offre, comme on l’attendait, mais du côté de la demande. Ces dernières années, les pays développés ont, en effet, diminué leur consommation pétrolière !

Pendant près de quatre décennies, l’Opep a veillé à réguler le marché, ouvrant ou fermant les robinets en fonction de ses intérêts vis-à-vis du marché. Mais derrière l’Opep, c’était l’Arabie saoudite qui était à la manœuvre. Avec ses réserves pétrolières énormes (70 % des réserves mondiales) et un niveau de production entre 8 et 11 millions de barils par jour, le Royaume est l’acteur majeur. Comment comprendre dès lors son attitude depuis trois ans consistant à laisser baisser le prix du pétrole ? C’est la grande question.

Le pétrole ne s’économise plus

En réalité, ce changement de pied était en préparation depuis une bonne dizaine d’années, époque à partir de laquelle les dirigeants saoudiens ont pris conscience que sous l’impulsion technologique formidable en matière énergétique, le monde allait entrer dans une période post-pétrolière. Dans leur esprit, le développement des substituts au pétrole allait inéluctablement diminuer la demande de pétrole Opep. Ce type de scénario était esquissé dans les analyses de l’Opep dès les années 2000, à partir notamment de l’expansion des biocarburants qui étaient pris pour une menace très sérieuse. Or, dans un premier temps, les stratèges saoudiens ont réagi en essayant de faire remonter le prix du marché par fermeture des robinets, jusqu’au jour où l’idée que le monde allait rentrer définitivement dans une ère post-pétrolière – et donc qu’en n’ayant plus besoin de lui, le pétrole ne vaudrait plus rien – s’est imposée à eux. D’où la volonté de « sortir » le pétrole tant qu’il est encore temps, plutôt que de conserver des réserves, tout en essayant d’anéantir par les prix bas la concurrence. L’émergence du pétrole de schistes américain a agi comme le coup de grâce.

Il y avait néanmoins un paradoxe dans cette histoire : plus les pays consommateurs subventionnent les énergies concurrentes, plus le pétrole baisse, et plus le pétrole baisse, moins ces énergies renouvelables sont rentables. Mais aujourd’hui, le mouvement des énergies renouvelables est lancé et rien ne semble pouvoir l’arrêter, notamment le solaire. La stratégie saoudienne de prix bas a certes affecté à un moment le pétrole de schiste dont on a fermé certains puits. Mais les recherches de pétrole en eaux profondes qui se mènent sur un très long terme n’ont pas été arrêtées, ni celles sur le solaire et l’éolien. Nous entrons à vitesse grand V dans un monde post-pétrolier. Dans une telle perspective, j’ai parié il y a plus d’un an que le prix du pétrole évoluerait autour de 50 dollars le baril. Jusqu’à maintenant – je touche du bois – je n’ai pas été démenti par les faits.

« One shot game » et victime collatérales

Ce seuil de 50 dollars est comme par hasard le prix auquel le pétrole de schiste aux Etats-Unis est rentable. Et c’est ce qui sert désormais de prix directeur au marché mondial de l’or noir. C’est une mauvaise nouvelle pour tous ceux qui ont bâti leur projet sur un baril entre 100 et 150 dollars : géophysiciens, certaines compagnies pétrolières mais aussi pays exportateurs de brut, et notamment l’Etat algérien, obligé de faire des économies budgétaires drastiques et de revoir à la baisse ses prévisions de croissance de manière dramatique.

Le coup de force pétrolier initié en 1973 aura été un « one shot game ». En rompant à cette date le contrat, les pays pétroliers ont remporté la mise une fois – mais une seule fois. Il n’y aura pas de deuxième partie, car le pétrole n’est plus une arme menaçante et aujourd’hui, comme n’importe quel marchand, l’Arabie saoudite ne cherche plus qu’à protéger ses parts de marchés.

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