Les arguments de Luc Rosenzweig en faveur de l’extradition de Marina Petrella sont plus que recevables, ils sont imparables. La douleur des familles de victimes n’a pas à être négligée et l’Italie, serait-ce celle du méchant Berlusconi, est un Etat de droit avec lequel nous avons signé toutes sortes de conventions bilatérales qui appellent ce type de dénouement. Ce n’est pas la même chose d’extrader une ex-brigadiste vers Rome qu’un illégaliste kurde vers Ankara. Jusque-là donc, je ne peux qu’être d’accord avec Luc et aussi avec Gil, Nina, Ludo et bien d’autres commentateurs : ils ont le droit de leur côté et ledit droit ne se divise pas – le causeur Klima est fort avisé de rappeler l’acharnement nonagénairicide de la gauche morale dans l’affaire Papon.
De plus, les pleurnicheries qui tiennent lieu d’argumentaires à maints défenseurs de Petrella sont consternantes. Pour tout dire, ces suppliques sont esthétiquement insupportables à tous les joyeux lascars de l’Autonomie ouvrière qui, comme moi, ne regrettent pas d’avoir crié dans leur jeunesse, à la fin des seventies des slogans enjoués mais tranchants du genre « Ni trop tôt, ni trop tard, nitroglycérine », « Contre la vie chère, contre le chômage : vol, pillage et sabotage », ou encore « Oui, Baader était un camarade ! » (il y avait une variante avec Mercader en cas d’agression délibérée contre le S.O. de la Ligue).
Depuis ces temps bénis de ma jeunesse, j’ai beau être passé de la cagoule à la cravate Charvet et du cocktail Molotov au Daïquiri, procédant au passage à quelques aggiornamento idéologiques, c’est bien triste de retrouver trente ans plus tard le « camarade P38 » métamorphosé en bigote social-démocrate, comme si le temps qui passe et ma (relative) déchéance physique subséquente ne suffisaient pas à alimenter mon agacement. Je ne vous parle même pas des rappels incessants faits par les défenseurs de Petrella de sa condition de mère de famille, son dévouement inlassable de travailleuse sociale, son état dépressif – on attend incessamment que son comité de soutien excipe de son statut d’abonnée à Télérama ou de donatrice au Téléthon. Le travail, le social, la famille, les certificats médicaux, l’appel la mansuétude des juges : tout ça pour ça ?
Décidément ces repentis sont une calamité pour ceux qui, plutôt que de battre leur coulpe ad nauseam, se sont contentés de vieillir et de changer d’avis – mais ça, je l’avais déjà compris en essayant de lire les œuvres de vieillesse de Toni Negri. A tout prendre, les charlots décérébrés et anarchisants d’Action Directe (que, par purisme marxiste-léniniste, nous méprisions copieusement à l’époque, contrairement aux brigadistes ou à la RAF), ont eu infiniment plus de dignité du fond de leur cellule, refusant jusqu’au bout de monnayer des excuses aux familles de victimes en échange de leur conditionnelle et n’exigeant, pour leurs libérations, que la stricte application des textes en vigueur.
Tout ça pour dire, donc, que les arguments de Rosenzweig sont percutants autant que les libelles petrellistes sont gluants. N’empêche, on bute sur un truc, et de taille : l’honneur de la France. La parole donnée par François Mitterrand aux brigadistes en préretraite était probablement inopportune, régalienne, illégale et même (faute d’avoir été étendue aussi aux rangés des voitures d’extrême droite) inéquitable. So what ? C’est la parole de la France. Les Italiens – y compris les degauches – sont fous de rage, expliquent que la fiche Interpol de Marina est longue comme un jour sans gressin, que notre pays viole depuis quinze ans les règles du droit international : ils ont raison, mais qu’est-ce qu’on s’en fiche ? De toute façon, on était déjà fâché à mort avec eux à cause du coup de tête de Zidane et du rachat d’Alitalia. Et à part ça, d’où par où, comme dit ma maman, serions-nous tenus d’être en accord sur tout avec tout le monde, quel impératif catégorique pourrait-il nous empêcher de respecter notre parole quitte à bafouer allègrement le droit international ? Le droit international, il faut le respecter, sauf quand il faut le violer. Certaines nations, moins empotées que la moyenne, on su le faire à bon escient, de Guantanamo à Entebbe en passant par l’Abkhazie : à défaut d’être les plus aimés, ce ne sont pas les Etats les moins respectés, on les écoute quand ils parlent.
La France, elle, ne fera respecter sa parole qu’en respectant sa parole : désormais dépourvus ou presque d’industrie lourde, de forces armées et de rayonnement culturel, il ne nous reste plus grand chose, fors l’honneur.
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