Mercredi 9 juillet 2014-11 ramadan 1435
4h35. Impossible de fermer l’œil. Facebook est navrant : entre le foot et les bombardements de Gaza par Tsahal suite aux tirs de roquettes lancés mardi matin. D’après ce que j’ai lu, 40 000 réservistes ont été rappelés en vue sûrement d’une opération terrestre. Si cela a lieu, ce sera une hécatombe, le Hamas ne sachant que fanfaronner à coup de credo et de roquettes artisanales aussi bruyantes qu’inoffensives. Le Hamas est la nouvelle plaie de la Palestine comme l’islam politique est la plaie du Monde arabe et musulman. C’est le hasard qui m’a mis ce livre de Deleuze entre les mains, dans la mesure où il y a quelques heures j’en ignorais l’existence, et je suis stupéfait d’apprendre que le philosophe était, non seulement acquis à la cause palestinienne, mais encore avait mûrement réfléchi sur elle. Ainsi en 1983, il écrit : « Une solution politique, un règlement pacifique n’est possible qu’avec une OLP indépendante, qui n’aura pas disparu dans un État déjà existant, et ne sera pas perdue dans les divers mouvements islamiques. Une disparition de l’OLP ne serait que la victoire des forces aveugles de guerre, indifférentes à la survie du peuple palestinien. » (Deux régimes de fous Textes et entretiens 1975-1995, p. 225)
Or, ce qui précède est antérieur au Hamas et à l’islamisation de la cause palestinienne. Qu’écrirait aujourd’hui Deleuze, car de toute évidence cet autre parti de Dieu ou d’Allah pratique la politique de la terre brûlée ou, comme l’a si bien tourné l’ami Hatem Chalghmi, qui a malicieusement paraphrasé Mahmoud Darwich, le Hamas pratique la politique de « sur cette terre rien ne mérite de vivre ». C’est pertinent bien que triste, voire dramatique…
La Professeure, qui passe son temps à décliner les invitations des ambassades de France et des Amériques, écrit cette fois-ci en arabe pour s’étonner de ce que « certains n’aient pas exprimé leur indignation par rapport à ce qui se passe à Gaza ». Pour elle, ceux-là « ont peur de soutenir le Hamas ». Aussi s’indigne-t-elle parce que, à ses yeux, « les USA soutiennent Israël quand bien même leur Premier ministre ne lui plairait pas idéologiquement ». Élue dernièrement à la tête de la principale école de journalisme du pays, cette dame va sûrement, avec ce type d’analyses, d’arguments et de connaissances aussi subtiles qu’érudits, révolutionner l’enseignement des sciences des médias. La médiologie de Régis Debray sera évincée par l’hystérophraséologie de la Professeure-Directrice…
Je me rends compte de l’heure. Il est 6h15. Je suis affligé par ce que je viens de lire et cela se ressent dans ce que moi-même j’écris. Pour me calmer, je vais relire une belle page, celle d’Ossip Mandelstam, dans ce chef d’œuvre qu’est Le bruit du temps : « Je désire non pas parler de moi, mais épier le siècle, le bruit et la germination du temps. Ma mémoire est hostile à tout ce qui est personnel […]. Je le répète, ma mémoire est non pas d’amour mais d’hostilité, et elle travaille non à reproduire, mais à écarter le passé. Pour un intellectuel de médiocre origine, la mémoire est inutile, il lui suffit de parler des livres qu’il a lus, et sa biographie est faite. Là où, chez les générations heureuses, l’épopée parle en hexamètres et en chronique, chez moi se tient un signe de béance, et entre moi et le siècle gît un abîme, un fossé rempli du temps qui bruit, l’endroit réservé à la famille et aux archives domestiques. Que voulait dire ma famille ? Je ne sais. Elle était bègue de naissance et cependant, elle avait quelque chose à dire. Sur moi et sur beaucoup de mes contemporains pèse le bégaiement de la naissance. Nous avons appris non à parler, mais à balbutier, et ce n’est qu’en prêtant l’oreille au bruit croissant du siècle et une fois blanchis par l’écume de sa crête que nous avons acquis une langue. »[1. Ossip Mandelstam, Le bruit du temps, traduit du russe et annoté par Édith Scherrer, préface de Nikita Struve, Paris, Christian Bourgois, coll. « Titres », n°14, 2006, p. 97-98.] — Résolution prise résolument.
15h15. Me suis levé pour regarder « Des chiffres et des lettres » à la télévision. Quelle émission, exquise, vraiment : l’intelligence en marche !
Gérard Bocholier, poète et lecteur de poésie de haut vol, m’écrit : « … Ah si Voltaire avait vu ça ! » Je pense que cela résume toute la situation actuelle, même si des esprits tordus comme Frédéric Schiffter se rient de la notion même d’intellectuel, qu’ils assimilent faussement à une pose, une posture ou que sais-je encore. Rien à voir avec la profondeur de pensée et d’humanité d’un Gilles Deleuze prenant ainsi, en 1979, la défense d’Antonio Negri : « Alors, peut-on dire que Negri est double, et que comme écrivain, il a fait la théorie d’une certaine pratique sociale, mais que, comme agent secret, il a une tout autre pratique, terroriste ? Ce serait une idée particulièrement idiote, parce que, à moins évidemment d’être payé par la police, un écrivain révolutionnaire ne peut pas pratiquer un autre type de lutte que ceux qu’il approuve et promeut dans ses écrits. » (« Ce livre est littéralement une preuve d’innocence », in Deux régimes de fous Textes et entretiens 1975-1995, p. 161.)
L’Argentine de Messi s’est qualifiée pour la finale du Mondial sur le compte d’une Hollande méconnaissable. Match soporifique avec un jeu des plus laids et des moins inventifs de cette Coupe du monde. Samedi, pour le match de classement, le Brésil affrontera la Hollande à 21h, tandis que l’Argentine retrouvera l’Allemagne dimanche à 20h, pour disputer leur troisième finale. Ce sera donc la belle, vu que les Argentins ont gagné la finale de 1986 et les Allemands celle de 1990. Espérons que les parties à venir seront à la hauteur de cette phase décisive de ce beau mondial…
De nouveau dans Deux régimes de fous, de Deleuze. Textes et entretiens passionnants. Je suis en admiration devant cet esprit que j’estimais mais pas à ce point. La correspondance du philosophe avec celui qui est désormais pour moi une idole, Dionys Mascolo, est une surprise des plus agréables. J’y reviendrai longuement…
Jeudi 10 juillet 2014-12 ramadan 1435
À la plage sans Alma qui faisait la sieste. Inquiet parce que la Dreambox ne marche plus. Il y a de quoi devenir superstitieux. Rien chez nous ne marche comme il faut, comme si nous étions maudits par la science. Tout se fait dans l’approximation, par coïncidence ou presque, l’analogie, voire le hasard étant chez nous des règles et non de simples contingences. À mon retour, j’allume la télé, je zappe sans conviction d’une chaîne à une autre : ça marche de nouveau comme si de rien n’était. Rien à dire, sauf ceci, encore et toujours : il y a de quoi devenir superstitieux !
Reçu un message de l’ami Richard Millet : « Faites attention à vous, cher Aymen. Ils sont puissants, très puissants, et vous les attaquez là où ils détestent de l’être : dans la presse nationale européenne. Amitiés. R. »
Je suis triste que Sami D., que je considérais comme un esprit critique, fasse comme tout le monde : ne lire que d’un œil ou faire l’aveugle, notamment quand les arguments le dépassent ou lui déplaisent. Il n’est certes pas le seul à agir de la sorte, mais c’est si maladroitement fait — comme cliquer « j’aime » sur un commentaire bidon et en ignorer un fondamental — que cela ne peut pas être interprété de deux façons. C’est tout bonnement du mépris et de l’arrogance. Fils d’un ancien ministre de Bourguiba, titulaire de la double nationalité franco-tunisienne, il se dit de gauche tout en menant une vie de nabab. S’indignant contre François Hollande, qui « a exprimé la solidarité de la France face aux tirs de roquettes en provenance de Gaza », il va jusqu’à dire qu’il a « envie de gerber » ! Propos de teenager, s’il en est, aggravés par une obstination des plus infantiles, vu qu’à mon commentaire : « Hollande n’y est pour rien, c’est la politique française depuis la Quatrième République. Sarkozy était ainsi, Chirac aussi, bien qu’il passât pour un ami des Palestiniens, Mitterrand, etc. La mort des enfants est déplorable, mais il faut incriminer le Hamas qui se sert d’eux en en faisant des boucliers humains. N’est-ce pas ? », il répond sans prendre le temps de réfléchir : « Aymen : j’ai condamné le Hamas juste avant. Sinon : Non la politique de la France était beaucoup plus nuancée avec Chirac, surtout quand Villepin était ministre des affaires étrangères. Il n’aurait jamais omis de condamner les crimes contre des civils et la riposte disproportionnée de l’armée israélienne. La partialité de Hollande est une première ! D’ailleurs beaucoup de voix commencent à s’élever pour la condamner au sein du PS même… [sic] ». Ce à quoi je réponds : « Une première ? Ne t’empresse pas de dire non. As-tu oublié juillet 2006 et décembre 2008 ? » Questions qui resteront sans réponse, la mémoire n’étant pas le fort de tous ceux qui s’indignent rien que pour s’indigner, ponctuellement, à chaud, pour juste après vaquer à d’autres occupations ou sources d’indignation.
*Photo : Raï.
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