Dimanche 29 juin 2014-1er ramadan 1435
1h55. À peine une heure et quart avant le début du jeûne dont la rupture aura lieu à, tenez-vous bien, 19h45. Cela fera donc plus de seize heures de jeûne. Seize heures sans boire ni manger surtout. Un véritable calvaire auquel je me plie, ni par foi ni par hypocrisie, mais par communisme ! Sans doute cette raison ne sera-t-elle jamais prise au sérieux, non pas parce qu’elle ne colle pas, mais parce qu’on méprise le communisme et lui flanque des attributs qui lui sont complètement étrangers. À ce titre, la vidéo réalisée par l’ami Roland Jaccard à Paris le 10 février dernier est des plus éloquentes. Intitulée « Aymen Hacen, écrivain tunisien et communiste au Flore… », elle a littéralement cartonné sur Facebook, si bien que Roland m’a récompensé en m’offrant les Œuvres de Jaccottet en Pléiade ! Que cela ait cartonné, cela montre qu’on n’a rien compris à la chose… J’ai en tête Dionys Mascolo, qui ouvre mon journal de l’année dernière, et Blanchot, lui, encore et toujours, qui écrit dans L’Entretien infini : « Écrire en ce sens (en cette direction où il n’est pas possible, seul, de se maintenir, ni même sous le nom de tous, sans des tâtonnements, des relâchements, des tours et des détours dont les textes ici mis ensemble portent trace, et c’est, je crois leur intérêt), suppose un changement radical d’époque — la mort même, l’interruption — ou, pour parler hyperboliquement, “la fin de l’histoire”, et, par là, passe par l’avènement du communisme, reconnu comme l’affirmation ultime, le communisme étant toujours encore au-delà du communisme. Écrire devient alors une responsabilité terrible. »
Peut-être ce que j’appelle communisme, à la suite de Mascolo et de Blanchot, est-il la jonction entre la poétique, la politique et l’écriture en tant que viatique…
Le Brésil a galéré face au Chili. Une victoire des plus hasardeuses, vu que le pays organisateur a été tenu en échec par les très solides et talentueux Chiliens qui ne se sont pliés que suite à une séance de tirs au but. Nous avons été nombreuses et nombreux à encourager le Chili, allant jusqu’à invoquer Allende et Neruda ! Cela dit, avec quelques heures de recul, je me dis que c’est mieux ainsi, une défaite du Brésil aurait été des plus catastrophiques pour ce Mondial dont l’organisation reste entachée de scandales et de sang…
La Colombie, quant à elle, s’est aisément qualifiée en battant l’Uruguay par deux buts à zéro. L’absence de Suarez a été visible, dans la mesure où Diego Forlán, élu meilleur joueur du Mondial 2010 en Afrique du Sud, n’est que l’ombre de lui-même. Je pense que la Colombie battra vendredi le Brésil en quart de finale. À suivre…
Cette après-midi et ce soir deux matches. À 17h, un vrai choc entre la Hollande et le Mexique. Je m’en lèche déjà les babines ! À 21h, un match moins intéressant opposera la révélation de ce Mondial, le Costa Rica, à une équipe franchement modeste et qualifiée par hasard, la Grèce. À suivre également, parce que le foot est beau et bizarre comme la vie…
Réveil à 15h45. Une seule idée en tête : revoir le rapport que Cioran entretenait avec certains écrivains de sa génération, car s’il était ami avec Samuel Beckett, Henri Michaux, Roger Caillois, Armel Guerne, Saint-John Perse, Alain Bosquet, Mircea Eliade et Eugène Ionesco, on ne peut pas en dire autant de quelques autres à l’instar de Maurice Blanchot, Roland Barthes ou Georges Perros… Cioran vs Blanchot et/ou Cioran vs Barthes et/ ou Cioran vs Perros, à creuser, à développer, à analyser, non pas à la lumière du biographique et des humeurs personnelles de l’homme (pour ne pas sombrer dans l’anecdotique…), mais pour dégager le « système » présidant à cette prose cioranienne, laquelle prose gagne en virulence quand il est question de ces noms… Je m’explique : dans ses Œuvres, Cioran ne trace le nom de Blanchot qu’à une seule reprise dans un texte consacré à Roger Caillois. Il s’agit donc d’un hapax, néanmoins il est question de lui à plusieurs reprises dans les Cahiers. La note des Œuvres et toutes celles des Cahiers sont critiques, voire péjoratives, comme celle qui, comparaison n’est pas raison, oppose Blanchot à Caillois : « On ne peut s’empêcher de songer ici à une démarche tout opposée, à celle d’un Maurice Blanchot par exemple, qui dans l’analyse du fait littéraire, a apporté, poussée jusqu’à l’héroïsme ou jusqu’à l’asphyxie, la superstition de la profondeur, de la rumination, qui cumule les avantages du vague et du gouffre. » (in Œuvres, p. 1211.)
Dans les Cahiers, Cioran écrit : « J’explique à Edern Hallier que lire Blanchot, c’est intéressant pour la sensation de se noyer qu’on a toujours, qu’on lise n’importe quoi de lui. À partir d’un certain moment on perd pied, puis on coule sans aucune sensation de vertige, sans non plus l’effroi de l’abîme, puisqu’il ne s’agit que d’un moment inintelligible du texte, où l’on tourne en rond comme dans un tourbillon fade ; — puis on remonte à la surface, on nage, on comprend de nouveau ; après un certain temps, assez bref, on se noie derechef, et ainsi de suite. La faute en est à l’auteur, esprit profond mais fêlé, c’est-à-dire incapable de distinguer entre la pensée et le néant de pensée ; chez lui souvent l’esprit tourne à vide, sans qu’il s’en rende compte. » (p. 454)
« Le style triste — genre M. Blanchot. Pensée insaisissable, prose parfaite et incolore. » (p. 511)
« Blanchot. Il a le génie de tout obscurcir. Le critique le moins lumineux qui soit. Si on veut s’embrouiller les idées sur une œuvre, on n’a qu’à lire le commentaire qu’il en a fait. […] Le rôle d’un critique est de rendre intelligible une œuvre obscure ou volontairement obscure. Le critique doit être plus clair que l’auteur ; à quoi bon lire un commentaire plus difficile que l’œuvre qu’il commente ? (Blanchot est le critique le plus profond et le plus exaspérant que je connaisse.) » (p. 544)
« J’ai appris à taper en me servant du Dernier Homme de Blanchot. La raison en est simple. Le livre est admirablement écrit, chaque phrase est splendide en elle-même, mais ne signifie rien. Il n’y a pas de sens qui vous accroche, qui vous arrête. Il n’y a que des mots. Texte idéal pour tâtonner sur le clavier de la machine. Cet écrivain vide est quand même un des plus profonds d’aujourd’hui. Profond à cause de ce qu’il entrevoit plutôt que de ce qu’il exprime. C’est l’hermétisme élégant; ou plutôt de la rhétorique sans éloquence. Un phraseur énigmatique. Quelqu’un, un journaliste, l’avait bien dit un jour : un bavard. » (p. 622)
À fouiller… À suivre…
18h40. Le Mexique mène par un but à zéro face aux Pays-Bas. Il reste encore dix minutes à jouer. Ça sent mauvais pour Robben, Van Persie, et Cie !
18h47. Wesley Snejder égalise de la plus belle des manières : suite à un nouveau corner des Pays-Bas, Robben centre au second poteau, Huntelaar passe parfaitement en retrait vers Sneijder qui décoche une demi-volée de l’extérieur du pied droit à seize mètres du goal ! Et BUUUT ! Les Pays-Bas sortent la tête de l’eau quelques secondes plus tard, grâce à un penalty justement accordé à Arjen Robben, lequel est transformé par Huntelaar qui a remplacé Van Persie à la 76e minute !
Petit entretien téléphonique avec M.-D. S. Cela fait à peine quatre jours qu’il est agrégé et le voilà déjà en train de penser à un éventuel mastère de recherche et/ou thèse de doctorat. Ce garçon est un oiseau rare et, sans hésitation aucune, dans le monde de ténèbres où nous vivons, je peux l’assimiler sans exagération à une bougie. Ainsi, après avoir consacré un brillant mémoire de fin d’études à l’ENS de Tunis à L’Espèce humaine de Robert Antelme, il compte poursuivre ses travaux en allant à la rencontre de Maurice Blanchot. En lui parlant, j’entendis l’appel à la prière… Je n’en revenais pas et lui posai la question. La première journée s’est très vite passée entre le foot à la télé, Facebook, ces pages et la thèse. Mais, avant de terminer la communication pour aller rompre le jeûne, M.-D. S. me dit, non sans confiance : « C’est drôle que toi le communiste travailles sur un auteur de droite, voire d’extrême-droite, et que moi, qui suis quand même de droite, précisément un anarchiste de droite, je m’intéresse à deux communistes, Antelme et Blanchot… — C’est pour cela que nous sommes amis et que nous faisons bon ménage, lui répondis-je ! »
Le Costa Rica a fini par battre la Grèce après un match des plus fous. Les premiers ayant logiquement dominé et ouvert la marque, se sont vus priver d’un joueur exclu après avoir obtenu un deuxième carton jaune, ce qui a permis aux Grecs de revenir au score. Ces derniers auraient pu doubler la marque et mettre à terre le Costa Rica, n’eût été un gardien d’une agilité et d’une présence d’esprit inouïes. Aussi, suite aux matches disputés hier et d’aujourd’hui, le Brésil affrontera-t-il en quart de finale la Colombie vendredi prochain et les Pays-Bas le Costa Rica samedi. Demain est un grand jour avec deux face-à-face des plus attendus : le Nigéria viendra se mesurer à la France, mon équipe de prédilection, alors que l’Algérie tentera d’entrer dans l’histoire en tentant de s’imposer devant une équipe d’Allemagne au plus haut de son art.
*Photo : OZKOK/SIPA. 00170537_000002.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !